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désirable de transporter en Algérie, avec les embarras, avec les périls qui en résultent, les luttes de systèmes, si ardentes dans la métropole, alors que, dès le début, par une décision une fois prise, l’on peut prévenir ces embarras et ces périls ? Si vous voulez, à l’époque où nous sommes, fonder une colonie, ne cherchez pas vos plans ailleurs que dans les principes de la liberté commerciale. L’ancien système colonial a fait son temps ; toutes les nations intelligentes l’ont abandonné ou cherchent à se dégager de ses entraves. L’Angleterre n’en veut plus, et ses nouvelles possessions de l’Australie prospèrent sous un régime libéral. Que l’Algérie puisse vendre partout ses produits, elle les vendra plus facilement et plus cher, les capitaux lui viendront en abondance ; qu’elle puisse acheter partout les marchandises dont elle a besoin, elle les achètera moins cher et en qualité meilleure, les colons afflueront chez elle. C’est folie que de lui retirer le concours du capital étranger en limitant les échanges, et il y a presque tyrannie à lui enjoindre de consommer à un prix exorbitant les tissus de Rouen, de Reims ou de Mulhouse, les fers du Creusot, etc. Laissez grandir l’Algérie sur les solides assises de la liberté, résignez-vous, s’il le faut, à n’y point trouver tout d’abord un débouché considérable pour l’industrie française, si alourdie dans sa marche par les chaînes de la protection. Quand l’Algérie sera adulte, quand elle sera peuplée, alors elle se suffira à elle-même, elle se défendra, elle ne vous imposera plus les dépenses énormes qui, depuis près de trente ans, écrasent vos budgets, et alors aussi elle deviendra pour vos produits de toute sorte un grand marché, car entre une colonie et sa métropole, le courant d’affaires, entretenu par le lien politique, par la communauté de mille intérêts, par les relations de famille, s’établit et se développe naturellement. Il n’y a donc pas à hésiter : point de douanes en Algérie !

Tels sont les argumens que l’on fait valoir en conseillant dès aujourd’hui l’adoption du libre échange pour nos possessions d’Afrique. Ils paraissent, à première vue, très rationnels ; ils s’inspirent de principes généralement vrais. Comment arrive-t-il donc que, si l’on envisage les choses au point de vue pratique, ils perdent singulièrement de leur valeur, et que les perspectives si séduisantes que l’on offre à nos regards s’évanouissent à la lumière des faits ? Cela tient à ce que, dans l’exposé de ce plan, l’on paraît ne se préoccuper en aucune manière de la législation de la France. Partout et de tout temps, le régime commercial des colonies est demeuré très étroitement lié à la législation des métropoles. On a pu voir l’Angleterre, alors qu’elle était sous l’empire des prohibitions, ouvrir sur certains points de ses immenses domaines quelques ports francs, par exemple Singapore, dans la mer des Indes. La même observation s’appliquerait au Danemark, qui possède l’entrepôt de Saint-Thomas dans les Antilles, à la Hollande, à la France même. Ce ne sont là que des exceptions. Le fait général, c’est que les tarifs coloniaux sont taillés sur le modèle des tarifs en vigueur dans la mère-patrie. Par conséquent, avant d’inaugurer en Algérie le libre échange, il faudrait