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notre enfant d’adoption ; nous l’avons prise sous notre tutelle, et cette conviction est si profonde, si populaire, que tous les gouvernemens depuis 1830 ont prodigué les dépenses et les sacrifices pour la conserver, pour l’élever, pour la doter magnifiquement. A aucun moment, pas même aux jours les plus critiques pour notre équilibre financier, on n’a osé contester sérieusement, ni même diminuer les crédits demandés pour elle. Les plus rigides mathématiciens du budget, les Cassandres du déficit, ont à peine tenté de rogner sa part. Et puis notre amour-propre, plus que notre gloire peut-être, se trouve en jeu. Combien de fois nous a-t-on dit et répété que nous ne savons pas, que nous ne pouvons pas coloniser ! combien de fois, et en France même, a-t-on déclaré que nous sommes dépourvus de l’aptitude pratique qui crée les établissemens lointains ! Et en même temps, oubliant que nous aussi nous avons connu les splendeurs coloniales, et que notre langue et nos lois nous survivent encore sur plus d’une terre transatlantique, on nous jette dédaigneusement à la face l’exemple de l’Angleterre, des Pays-Bas, de l’Espagne ! Il y a pour nous une sorte de point d’honneur à démentir cette injure et à relever ce défi. L’Algérie sera notre réponse. Il faut qu’elle nous venge, et par elle nous devons montrer à nos détracteurs que nous sommes capables non-seulement de fonder et d’organiser une colonie, mais encore de nous assimiler la race indigène au point que, sur un sol conquis, on ne reconnaîtra plus les vaincus. Pour résoudre ce problème, que ni les Anglais dans l’Inde, ni les Hollandais à Java, ni les Espagnols aux Philippines, n’ont pas même encore osé aborder, la première condition est de procéder à une répartition équitable de la propriété territoriale, et tout porte à croire que le gouvernement s’en occupe ; en second lieu, et cette condition n’est pas moins essentielle, il convient d’encourager la production, soit agricole, soit industrielle, de développer le travail sous toutes ses formes et de procurer aux produits une circulation abondante, qui attire l’échange en même temps que les colons, c’est-à-dire les capitaux et les bras. Telle doit être l’œuvre de la législation commerciale ; on voit qu’elle est immense.

Il était impossible que, dans cette occasion, quelques partisans peu avisés de la liberté absolue des échanges ne se missent pas en campagne ; aussi avons-nous entendu annoncer récemment que ce système économique allait être appliqué à l’Algérie. Un avis officiel a brusquement détruit cette illusion ; mais, bien que cet avis diminue à certains égards l’intérêt du débat la question subsiste : elle se représentera tôt ou tard, et l’on aurait mauvaise grâce à ne point l’examiner avec l’attention qu’elle mérite. — Comment ! disent les auteurs de la proposition, vous avez devant vous un vaste pays à peupler et à cultiver ; vous devez y poser la première pierre d’une constitution économique, et sur ce sol vierge encore vous songeriez à élever des barrières de douane, soutenues par les échafaudages de la protection ! Vous pouvez, grâce à Dieu, employer les moyens simples et naturels, et vous iriez, architectes imprudens, recourir aux procédés artificiels et compliqués ! Est-il