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M. Anne Raffenel, dont nous avons mentionné la campagne de découvertes au Bambouk, ayant entrepris de se rendre de Saint-Louis à Ségou, ne put y parvenir, parce qu’il fut retenu prisonnier chez les Bambaras du Khaarta ; mais de retour à Bakel il obtint du commandant du fort, alors M. Paul Holle, le héros du siège de Médine, les moyens d’envoyer au roi de Ségou un messager porteur d’une lettre où il lui exposait ses projets et les entraves qui en avaient empêché l’exécution ; il l’invitait, au nom de la France, à bien accueillir les voyageurs et les négocians sénégalais qui se rendraient dans ses états. La réponse fut aussi empressée que bienveillante. Le roi nègre députa un de ses premiers serviteurs auprès du gouverneur de Saint-Louis, avec une dépêche où il offrait son intervention pour faciliter et assurer l’arrivée des Français dans sa capitale : en outre le vieux monarque sollicitait, comme seul prix de ses services, un philtre amoureux qui lui rendît ses attraits et ses forces. L’envoyé fut bien reçu à Saint-Louis, et repartit avec un présent considérable pour son maître, sinon avec le philtre désiré. Un instant les imaginations s’éveillèrent, et l’on rêva toute sorte d’aventures vers Ségou. Bientôt, avec le départ du gouverneur, M. Baudin, l’effervescence se calma, et le projet tomba dans l’oubli.

Cependant il vivait encore dans quelques esprits animés d’une noble ardeur. En 1850, M. Hecquard, sous-lieutenant au premier régiment de spahis, obtint la permission de tenter ce voyage en partant des comptoirs de la Cazaman ; mais, aussi malheureux que M. Raffenel, il fut arrêté dans le Fouta-Dialon, et dut se rabattre sur Sénédébou et Bakel. Depuis lors la tentative n’a plus été renouvelée par les Européens, et nous devons confesser avec quelque honte que l’une des grandes cités de l’Afrique intérieure, distante de nos postes de cent quatre-vingts lieues à peine et de vingt journées de marche seulement, une ville dont les caravanes fréquentent nos établissemens, dont nos colporteurs indigènes connaissent et pratiquent la route, n’a pas encore reçu la visite d’une seule expédition française, tandis qu’il y a un demi-siècle, l’Anglais Mungo Park y est entré, et a rempli la contrée intermédiaire du souvenir de courses bien autrement audacieuses que nos explorations d’aujourd’hui. Le théâtre est pourtant digne de tenter quelque haute et intelligente ambition : une étendue de trente-cinq à quarante mille lieues carrées, peuplées de cinq ou six millions d’habitans, et offrant un débouché à 40 ou 50 millions de marchandises. Le découragement des explorateurs après les périls encourus par un petit nombre de courageux pionniers du désert met en lumière la nécessité de développer au Sénégal l’éducation des noirs et des hommes de couleur, plus familiers que les blancs avec le climat, les