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chaque jour par milliers de tonnes, les villes ne s’élèveront pas avec la merveilleuse rapidité que nous admirons en Amérique et en Océanie. Néanmoins tout avancera, car la race noire est, comme les autres, susceptible de progrès, mais à son pas et à sa manière. En même temps que l’exploitation de l’or deviendra pour elle une source nouvelle de travail, de salaire et d’échange, les ouvriers se laisseront pénétrer par le charme invisible des sentimens et des volontés de la France. Au début, les maîtres d’esclaves, apprenant quel parti l’on peut tirer de leur main-d’œuvre, se garderont de mauvais traitemens contraires à leurs intérêts. Bientôt la France, au nom de son droit et de sa force, mettra fin aux guerres qui alimentent l’esclavage, et partout où s’étendra sa domination, elle interdira l’esclavage même, comme elle l’a fait déjà dans toute l’étendue de la colonie.

Nous avons insisté sur cet épisode industriel, des mines du Bambouk autant pour satisfaire une légitime curiosité que pour montrer en perspective quel appui inespéré offre à la réforme sociale des populations noires une branche nouvelle d’activité. Dans cette direction, bien mieux que par les prédications des uns ou les anathèmes des autres, s’obtiendra la véritable émancipation des races opprimées. De la servitude brutale elles passeront à un travail régulier, modéré, lucratif et libre. Déjà, sur une profondeur de plus de deux cents lieues dans l’intérieur des terres de l’Afrique occidentale, l’horrible coutume du massacre des prisonniers a disparu, parce qu’on leur a découvert un emploi utile dans la récolte de la gomme et de l’arachide : témoignage éclatant de progrès à la fois matériel et moral, pacte d’alliance entre le commerce et l’industrie d’une part, la civilisation de l’autre, dont il sera, nous l’espérons, donné aux mines d’or du Bambouk de fournir un nouvel exemple.

Après les produits destinés à l’exportation, il convient de nommer, dans une rapide énumération, ceux qui, réservés de fait à la consommation intérieure, sont d’une haute utilité locale, quoique la métropole en tienne moins de compte. Parmi les céréales, le gros et le petit mil remplacent le blé ; le petit mil surtout y est la base de la nourriture, comme matière première du couscoussou, le mets national des noirs aussi bien que des Maures. Broyer le grain à grands coups de pilon dans un mortier creux, telle est la bruyante et presque unique occupation des femmes, si bien que des industriels ayant proposé, il y a une quinzaine d’années, d’introduire à Saint-Louis des moulins à vent, les marabouts s’y opposèrent dans l’intérêt des maris, par le motif que les femmes, cessant leur métier de pileuses, tomberaient dans l’oisiveté absolue et les vices qui en découlent. Chose plus surprenante, l’objection fut jugée respectable, et l’on y fit droit : les moulins à vent furent prohibés. Cependant en 1857