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comme en tout pays où l’on veut agréger au corps social des molécules hétérogènes et dissidentes, une pareille obligation sera un instrument aussi efficace que légitime de la politique.

La population de Saint-Louis comptait au 1er janvier 1857 un millier d’habitans chrétiens, le douzième environ de la population totale, dans laquelle les Européens comptaient, avons-nous vu, pour moins de deux cents personnes. L’émancipation des esclaves n’a pas été favorable à l’extension du catholicisme. Les captifs de case et les engagés à temps, qui laissaient baptiser leurs enfans sous l’influence de leurs maîtres chrétiens, les élèvent aujourd’hui dans l’islamisme comme dans leur religion naturelle. Le baptême est du reste à peu près tout ce qu’on obtient de la plupart de ces noirs, car leurs pratiques de culte, au témoignage de l’abbé Boilat lui-même, noir indigène, prêtre de Saint-Louis, auteur des Esquisses sénégalaises, se réduisent à baiser la croix le vendredi-saint. Dans le cercle de l’instruction profane, le succès dés maîtres catholiques est plus manifeste. On doit citer, comme instruinens précieux de la future unité de la société sénégalaise, les grammaires et dictionnaires de la langue ouolof, la plus répandue des langues de la Sénégambie[1], publiés par les missionnaires catholiques de Dakar, centre de leurs établissemens dans la Sénégambie. Un collège et une école industrielle, fondés il y a quinze ans pour l’éducation des créoles et des indigènes, n’ont pu rester ouverts, faute d’un nombre suffisant d’élèves. Cependant ces tentatives, alors prématurées, méritent d’être reprises aujourd’hui que l’ambition des familles ne se porte plus exclusivement vers le commerce. On a tenté en vain d’y suppléer en recevant en France quelques jeunes Sénégalais, soit dans les lycées et séminaires, soit dans les écoles des arts et métiers. Excellens sous le rapport des études et du contact avec une société plus avancée, de tels déplacemens ne peuvent convenir qu’à un petit nombre de sujets. Le danger suit d’ailleurs de trop près l’avantage. Le climat de l’Europe étant aussi insalubre pour les noirs que celui de l’Afrique occidentale pour les blancs ; la phthisie en est la conséquence trop ordinaire. Dans l’expérience qui se fit en 1842, douze élèves succombèrent sur dix-huit. Une acclimatation soumise à de telles chances ne peut être poursuivie avec obstination sur des hommes ; comme néanmoins l’instruction primaire ne suffit pas aux besoins des diverses carrières, l’intérêt et le vœu public appellent des écoles secondaires d’où sortiront des représentans d’une classe moyenne : médecins, pharmaciens, instituteurs,

  1. On parle huit langues dans la Sénégambie : arabe, berbère, ouolof, peul, bambara, soninké (les Sarrakbolès), malinké (les Mandinguès), serère.