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Celleneuve, un haâ ! formidable l’apprit à toute la contrée. Ce haâ d’allégresse et de triomphe, sorti de la bouche éraillée de sa nouvelle maîtresse, scandalisa tellement le Gris, habitué à la voix douce de Madeleine, qu’il rua d’épouvante, sauta, tourna, s’emporta et renversa enfin toute sa charge sur les ronces qui bordaient le chemin. Grand désastre dans le linge, grande fureur de la blanchisseuse ! Madeleine n’était pas là pour sauver son cher Gris de la plus terrible volée de coups de bâtons que le pauvre animal eût jamais reçue.

Pécaïre ! disait la bonne mos en regardant toujours d’un air piteux son mince papier, ce n’est là que le tiers de la somme qu’il me faut. Je ne veux pas rentrer sans apporter le tout à Marcel, et je ne possède plus rien, rien que mes bras !

Elle était arrivée en ce moment à la porte de l’église de Saint-Pierre ; elle y entra pour demander une inspiration à Dieu. En sortant, elle vit sur le porche un groupe de femmes qui causaient entre elles ; à leur costume, elle reconnut des paysannes des Cévennes.

— Je viens, disait l’une, de traiter pour la saison ; on me prend à raison de deux cents francs.

— Moi, disait une autre, je serai nourrie, logée, blanchie, et j’aurai trois francs par jour.

— Je suis mieux traitée que vous, reprenait une troisième, je me suis placée chez un petit particulier qui ne veut se mêler de rien, et j’aurai la moitié des bénéfices. Ce sera joli, car je réussis toujours mes chambrées.

Madeleine prêtait une oreille attentive. Elle comprit qu’il s’agissait de l’éducation des vers à soie, et, bien que les Languedociens n’aient de confiance que dans l’habileté des Cévenoles pour diriger leurs magnaneries, la courageuse mos résolut de s’offrir comme éleveuse de magnans.

— Mon homme finira bien par me pardonner, se dit-elle, de le quitter pendant un mois au printemps, puisqu’il s’agit du bonheur de mon fils !

Se rapprochant des Cévenoles, elle les pria de lui indiquer comment il fallait s’y prendre pour se louer. Celles-ci, étant déjà toutes pourvues, lui donnèrent d’assez bonne grâce l’adresse de plusieurs bourgeois en quête de magnanières. Madeleine alla s’adresser à celui qui logeait le plus près de là. Grâce au ciel, il se trouva que c’était un petit commerçant bon et jovial, qui voulait tâter de l’agriculture ; il venait d’acheter une mûriéraie et une étable qu’il devait convertir en magnanerie. Il était fort novice dans son nouvel état ; la figure douce, franche, et l’allure honnête de Madeleine lui plurent beaucoup : il accepta ses conditions sans marchander. Il connaissait,