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du maître penché vers ces piles profondes, donnent un aspect vraiment fantastique à ces nouveaux enfers.

Une fois sa presse terminée, Madeleine chargea le Gris du petit baril contenant son huile et de divers paniers remplis de noyaux d’olives convertis en mottes à brûler. Se hissant au milieu de sa charge précieuse, elle dirigea son âne vers Sainte-Croix. La mos s’en revint glacée, mais joyeuse ; elle rapportait de Sainte-Croix cinquante francs, prix longtemps débattu de ses denrées. Il fallait passer devant Saint-Loup pour s’en revenir au village. Madeleine jeta un triste regard sur le château désert. Dans les derniers jours d’automne, Noélie avait planté un de ses rosiers chéris aux pieds de la Vierge de Saint-Loup, afin de voir la madone encadrée de verdure et de fleurs au printemps. La végétation du rosier du Bengale, hâtée par le tiède abri du mur, avait déjà déployé de longs rameaux, et un bouquet de beaux boutons prêts à s’ouvrir au premier soleil se balançait un peu au-dessus du chapeau de Madeleine. La tendre mère l’aperçut, et il lui sembla que ces roses aimées de Noélie se tendaient vers elle pour qu’elle les cueillît. Elle les détacha avec précaution pour les envoyer le lendemain à Marcel comme un souvenir du passé, comme un bon augure pour l’avenir. — Ah ! pensa-t-elle en arrangeant délicatement la tige du rosier dans sa gourgouline remplie d’eau, voilà de quoi ranimer le courage de mon Lavenou !

Le moment de soutenir sa thèse arriva enfin pour Marcel, et Madeleine implora de maître Lavène la grâce de faire un voyage à Montpellier pour encourager et embrasser son fils dans cette épreuve solennelle. Le paysan consentit au voyage de Madeleine ; il l’engagea seulement à ne pas se laisser plumer par Marcel, comme si la pauvre mos n’avait pas depuis longtemps arraché toutes les plumes de ses ailes pour secourir l’enfant de sa tendresse. Puis il ajouta en forme d’adieu : — Rappelle-toi que le Gris vaut son pesant d’or, et que tu m’en réponds ; le chemin est long, ne le fais pas marcher trop vite ; pars dans la nuit, et mets-lui ta cape, crainte de la froidure.

C’était tout ce que désirait Madeleine ; sans remarquer que son mari semblait s’inquiéter beaucoup plus de la santé de son âne que de la sienne propre, elle le remercia avec effusion, et alla prier une voisine de venir la remplacer le lendemain en son logis ; puis elle courut chez Rose. — Ma fille, lui dit-elle d’un ton joyeux, je viens te demander un service, c’est de m’accompagner demain à Montpellier avec ton ânesse. Mon pauvre Lavenou doit être dans la gêne, et je veux lui porter quelque argent ; mais je n’en ai pas, et j’ai résolu d’aller vendre du vinaigre, du vin muscat et des sarmens à la ville ; nous chargerons ainsi nos deux montures, et le prix que nous obtiendrons