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La mos, suivie du Gris chargé de paniers et de barils, se dirigea donc vers les olivettes. Grâce à sa patience et à sa dextérité, elle avait rempli ses paniers à la fin du jour. En accélérant le pas du Gris, Madeleine arriva vers huit heures du soir au château où le payre de Mme de Presle avait son moulin à huile. Elle avait ramassé une petite presse d’olives, ce qui devait lui rapporter environ trente livres d’huile. Il lui fallut attendre que son tour arrivât. Madeleine était la dernière venue, et ses olives ne devaient passer qu’au milieu de la nuit. Elle s’assit au coin du feu, tira ses grandes aiguilles de sa poche, et se mit à tricoter les derniers tours d’un gilet destiné à Marcel.

Le moulin était en pleine activité. Dans cette partie du midi, on s’empresse d’extraire l’huile de l’olive dès qu’elle est cueillie, afin d’éviter le goût acre et piquant que lui donne la fermentation du fruit conservé trop longtemps. Le moulin est donc obligé de tourner jour et nuit pour satisfaire ses cliens dans le plus bref délai. Des escouades d’ouvriers se relèvent alternativement, et l’aspect de cette usine offre, la nuit surtout, une physionomie particulière. Un doux feu de mottes (marc d’olives) brûle lentement dans une immense brasier, autour duquel se groupent les chalands, les curieux, les ouvriers au repos, les bavards et les notables du village. C’est un club au petit pied. On y joue l’écarté sur un baril renversé, avec les mêmes cartes graisseuses qui servent tous les hivers depuis plus de dix ans, et qu’on replace après chaque séance dans la petite niche creusée ad hoc sous le manteau de la cheminée. Le vieil adjoint goutteux prend son café à côté du garde champêtre, qui fume une énorme pipe, son chien entre les jambes ; la ménagère vient faire chauffer le récate de son mari à ce foyer banal ; la jeune fille y donne rendez-vous à son fiancé, et chacun écoute ou raconte la chronique du jour à la douce vapeur qui inonde le moulin d’une chaleur parfumée. Le sourd mugissement de la chaudière, le grincement de la presse, les cris bizarres qui accompagnent la manœuvre des ouvriers, la diversité des types qui se renouvellent sans cesse autour du brasier, la vapeur aromatique qui s’élève en spirales bleuâtres, les mille détails enfin de cette scène méridionale offrent un spectacle plein d’étrangeté.

Les olives sont d’abord broyées sous une meule de pierre siliceuse, qu’une vigoureuse mule fait tourner lentement. La pâte humide et noirâtre des fruits écrasés est placée dans des paillassons creux appelés cabas. Ces cabas sont élevés en colonne les uns sur les autres et arrosés d’eau bouillante. Lorsque la colonne est assez haute, on fait descendre sur cette pile de cabas, au moyen d’un arbre à vis de bois, une immense poutre horizontale qui, par