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qui, à minuit, la veille de la Saint-Jean, s’entr’ouvre à tout mortel ; mais si l’appât du gain retient plus de cinq minutes l’ambitieux dans l’immense grotte, il meurt enseveli sous des monceaux d’or, car l’antre se referme lorsque l’horloge de Fabriac fait retentir une seconde fois les douze coups dans le silence de la nuit. La voûte ténébreuse est divisée en trois galeries qui offrent successivement leurs richesses à la cupidité. La première est remplie de monnaie de cuivre. « Ce serait bien lourd à emporter, se dit le quidam, j’aurai bientôt fait d’aller dans la seconde salle, et j’y trouverai plus de profit. » Il y court et voit des milliers de pièces d’argent qui flatteraient délicieusement sa vue, si les feux étincelans de l’or qui brille au fond de la troisième galerie ne l’attiraient par leurs reflets fascinateurs. « Vite, dit-il, quelques pas encore, et ma fortune est assurée. » Mais l’horloge fait entendre sa voix inexorable, et le rocher de Saint-Loup se referme sur une victime de plus. La moralité de cette histoire, qui enseigne à borner ses désirs, est tout à fait appropriée au sort des paysans ; elle se rencontre du reste dans une infinité de récits languedociens, et le rocher du vieux Substansion, près de Montpellier, est célèbre aussi par une légende qui diffère fort peu de celle de Saint-Loup.

Noélie disait à Marcel combien elle voudrait revoir et admirer avec lui ce lieu sauvage, et les deux jeunes gens se promirent d’y revenir un jour, au soleil levant. La naïve enfant était en proie à une véritable émotion. Cette nuit si pure et si limpide, les beautés grandioses d’un site nouveau, un tête-à-tête avec un jeune homme pour lequel elle ressentait une secrète sympathie, tout l’enivrait, et elle arrêtait de longs regards ravis sur le paysage. Les senteurs aromatiques des guarigues[1] se répandaient dans l’atmosphère, et les petites mares qui servent à abreuver les troupeaux, réfléchissant les étoiles scintillantes, semblaient autant de lampes d’argent placées de loin en loin pour guider le voyageur.

Lorsqu’on fut arrivé au château, Mme de Presle engagea maître Lavène à se rafraîchir. Pendant que Jeannette accompagnait le paysan à l’office, la vieille dame montait dans son appartement, appuyée sur le bras de Noélie. Rentrée dans sa chambre, la jeune fille s’accouda à sa croisée, et, triste d’avoir vu fuir si rapidement une soirée délicieuse, elle en prolongea le charme par la rêverie des souvenirs. Noélie en était à cette première période de l’amour qui s’ignore encore. Le balcon de la jeune châtelaine était tout couvert de roses du Bengale. Ces rosiers, fort vivaces dans les contrées

  1. On appelle ainsi des étendues de terrain qui ne sont pas cultivées. Les troupeaux y broutent une herbe rare, et le plus souvent ces espèces de landes ne peuvent pas être défrichées à cause de la quantité prodigieuse de rochers qui s’y trouvent ensevelis.