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la tête inclinée sur la poitrine, le tricot abandonné sur les genoux et les mains croisées sur son tablier, Madeleine, assise au fond de sa cuisine, avait l’air de dormir, tandis que son cœur veillait, agité par les douces sensations de l’amour maternel.

Pendant que sa nièce mettait le couvert, mos de Lavène alla passer l’inspection de sa demeure. Au rez-de-chaussée s’étendait une vaste cuisine, décorée au milieu d’une longue table massive. Une large cheminée promettait des feux resplendissans et de riches veillées. La couleur noire et reluisante des meubles en bois de noyer jouait l’ébène ; les dimensions imposantes de ces meubles vénérables étaient en harmonie avec l’aspect de la salle basse, et indiquaient qu’ils n’appartenaient pas à de simples paysans. D’un côté, une porte ouvrait sur une petite écurie, où le Gris, l’âne pacifique du logis, donnait l’hospitalité au cheval du notaire, qui venait une fois la semaine effaroucher une nuée de volatiles criards. Une autre porte conduisait au cellier, espèce de cave à fleur de terre, entourée de tonneaux de toute grandeur. Un pressoir à vis de bois, garni encore de marc de raisin, et la forte odeur alcoolique qui s’en échappait annonçaient qu’on était en pleines vendanges. Le premier étage se composait de trois chambres. Celle des époux Lavène offrait pour tout luxe un petit saint Jean-Baptiste en cire rose, un grand perroquet vert en craie, achetés au marchand ambulant, un pot à l’eau en porcelaine à fleurs d’or, qui n’avait jamais contenu la moindre goutte d’eau, et dans lequel se prélassait, en guise de bouquet, un plumeau aux mille couleurs. Venait ensuite la chambrette de Rose, qui la partageait avec des pigeons familiers, une légion de lapins et quelques perdreaux en sevrage. La troisième chambre était celle de Marcel et des étrangers que recevait maître Lavène. Des centaines de grappes de raisins suspendues au plafond par de gros fils, des planches chargées de fruits ; des provisions de blé et de légumes entassés dans les angles, de grandes jarres d’huile dans un coin, disaient assez que les lits ne sont que des accessoires dans les chambres des villages méridionaux. Cependant ces maisons solidement bâties, soigneusement fermées, couvertes de bonnes tuiles, et dans lesquelles règne une espèce de comfortable, seraient fort enviées par les pauvres habitans de certaines parties de la France, qui n’ont pour se défendre de la rigueur de leur climat qu’une méchante cabane couverte de chaume.

Madeleine terminait à peine ses derniers préparatifs, lorsque le bruit d’une carriole retentit sur la place. La ménagère s’élança hors de la maison pour courir au-devant des nouveau-venus. La charrette, conduite par maître Lavène, contenait un chargement complet de malles, de cartons et de corbeilles de toutes formes. Une jeune