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revenu après une longue absence dans le hameau natal comprendra l’attendrissement de Marcel.

Quand maître Lavène avait envoyé son fils à Montpellier, il lui avait dit avec cet orgueil que les Maures ont transmis aux Languedociens : « Tu ne reviendras que lorsque tu seras docteur. » Le vœu de maître Lavène était que Marcel remplaçât le vieux médecin du village, et il aspirait au bonheur de le voir, sur un grand cheval blanc, visiter les malades des environs. Marcel avait juré de revenir docteur l’année où ses amis d’enfance partiraient soldats. Les paysans en général écrivent peu ; à Fabriac, ils n’écrivent pas du tout. Marcel avait eu des nouvelles de sa famille par les troupeliers (marchands de bestiaux) que les soins de leur commerce amenaient parfois à Montpellier, et qui lui apportaient toujours dans leurs grands sacs de cuir quelques cadeaux maternels. Il avait écrit à ses parens une ou deux fois chaque année. Ses lettres avaient fait événement dans cette petite contrée, où le facteur est à la fois chantre, adjoint et laboureur.

On nous permettra maintenant de laisser Marcel plongé dans ses réflexions, et de prendre le sentier qui conduit à Fabriac, afin d’arriver avant lui chez mos de Lavène.

Une modeste fontaine, abritée par des alisiers de la plus belle venue, jaillit au milieu de la petite place du village. C’est le rendez-vous des commères, qui viennent échanger des caquets en remplissant leurs cruches. C’est sous l’ombre protectrice de ces arbres aux petits fruits parfumés qu’à la nuit tombante les amoureux se donnent le baiser du soir. C’est là que le jour se traitent les affaires sérieuses, pendant que les marmots se livrent à leurs jeux bruyans ; c’est là que les querelles se vident et que se forment le dimanche les danses joyeuses de la jeunesse. Cette place résume la vie entière du village. D’un côté s’élève le léger clocher de l’église ; en face, la mairie est reconnaissante à son drapeau flottant. Le boulanger, le boucher et le maréchal-ferrant ont leur boutique à vingt pas du grand alisier. Une branche sèche de pin, suspendue au-dessus d’une lucarne décorée d’un rideau rouge, témoigne que Fabriac n’est pas étranger aux douceurs du billard et de l’estaminet. Enfin le percepteur ouvre tous les matins ses volets gris vis-à-vis des fenêtres de maître Lavène, qui, en sa qualité de notable, a sa maison sur la place.

Le 4 septembre 185., une activité singulière se manifestait dans le logis de mos de Lavène, comme au reste dans tout le village. Les ménagères, manches et jupon retroussés, allaient, venaient, exposaient les cuivres, ce luxe de leurs pénates, à la chaude température du jour. Les hommes travaillant aux vignes, la population féminine