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à l’ingratitude contre cet homme dont ils avaient fait un représentant, les Gresham crièrent à l’insolence, et le jeune Frank punit la lâcheté de Moffat en lui administrant une solide volée de coups de cravache entre Trafalgar-Square et Pall-Mall. M. Moffat n’en gardait pas moins ses richesses réelles, et n’en avait pas moins abandonné miss Augusta et ses richesses imaginaires. Telles sont les humiliations que vous prépare l’argent, lorsqu’on fait à cette puissance des avances trop empressées.

À considérer les choses d’un peu près, l’argent a sur la naissance une réelle supériorité. Il est cynique, mais il est généralement exempt d’hypocrisie. Il étale naïvement, complaisamment son insolence, ses scandales et ses vices ; il dit tout haut la bonne opinion qu’il a de lui-même, il ne respecte rien, ne ménage rien, et s’en vante. En un mot, il met la théorie d’accord avec la pratique ; ses actions sont en harmonie avec ses pensées. La naissance n’est pas cynique, mais en revanche elle a un vice plus grand : elle est pharisaïque. Elle cache ses convoitises sous un étalage pompeux de grands sentimens et sous une phraséologie chevaleresque ; elle cherche à combiner les avantages de la dignité et les avantages de l’avilissement ; elle dirige toutes ses manœuvres de manière à faire croire à la société qu’elle reste elle-même lorsqu’elle s’abaisse. Les de Courcy étaient passés maîtres dans cet art du pharisaïsme social. Quelques années après la rupture de son mariage avec M. Moffat, miss Augusta Gresham reçut l’aveu d’un nouvel amour. M. Mortimer Gazebee n’était point d’une illustre naissance, il n’avait point une de ces situations brillantes et n’exerçait pas une de ces professions qui font excuser par l’aristocratie la bassesse de l’origine, car certaines fonctions confèrent partout à celui qui les possède, mais en Angleterre plus qu’ailleurs, une demi-aristocratie : M. Mortimer Gazebee n’était ni membre du parlement comme M. Moffat, ni clergyman comme M. Caleb Oriel, l’époux de la jeune sœur de miss Augusta. Il exerçait une profession tout à fait plébéienne, il était simple attorney ; mais sa personne était élégante, ses manières polies, et miss Augusta se sentait pour lui un commencement de tendre inclination. Cependant, avant de répondre affirmativement à la demande de M. Mortimer Gazebee, elle voulut consulter quelqu’un de ses parens, et elle choisit pour confidente de son amour naissant sa cousine, lady Amelia de Courcy. C’était un choix malheureux : lady Amelia était restée fille jusqu’à trente-cinq ans, et s’était résignée en rechignant. Elle était fort disposée par conséquent à faire peser sur les sentimens d’autrui la tyrannie qui avait comprimé les siens, et à se proposer orgueilleusement comme un modèle à suivre. Elle écrivit donc à sa cousine une lettre pleine de