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Son miel avec ton lait dans mon âme a coulé.
Ta bouche à mon berceau me l’avait révélé.


Brizeux a souvent chanté sa mère, et jamais une idée banale ne lui est échappée, jamais non plus une parole ambitieuse n’a défiguré l’expression de sa tendresse. D’autres poètes, en célébrant leurs foyers, ont oublié toute mesure ; ils ont glorifié une image abstraite, l’idéal de la mère, un type unique et incomparable, si bien que chacun en les lisant se sent blessé et réclame au fond de sa conscience. Rien de pareil chez Brizeux ; il n’absorbe pas toutes les mères dans la sienne, il dessine un portrait, il peint une figure distincte et sait la faire aimer. Ce sentiment de la mesure uni à une sensibilité ardente, ce goût si vif de la réalité chez un artiste si épris de l’idéal, ce sont là des traits à noter dans la physionomie du poète. Ils sont visibles dès le premier jour, et chaque progrès de la vie ne fera que les marquer davantage.

Le jeune Breton avait huit ans quand il fut envoyé à l’école du curé d’Arzannô. Allons-y avec lui. Nous voilà désormais en pleine Bretagne. Lorient est une ville moderne avec ses rues alignées et ses services publics ; ce n’est pas là qu’il faut chercher les traditions de la terre des Celtes. À deux lieues de Kemperlé, entre Lorient et le Faouet, c’est-à-dire sur la limite du pays de Vannes et de la Gornouaille, est le petit village d’Arzannô, qui appartient aujourd’hui au département du Finistère. C’est un chef-lieu de canton composé de quelques maisons de paysans. Là, tout est celtique, la langue, les mœurs, les costumes. La terre aussi a bien sa physionomie distincte ; nulle part on ne voit la lande plus sauvage, les genêts plus verts, le blé noir plus vivace, les chênes plus solidement fixés dans un sol de granit. Les deux fleuves chers aux Bretons, le Scorf et l’Ellé, coulent à quelque distance, le Scorf à l’est, l’Ellé à l’ouest. Ce qui est bien breton surtout, c’est le presbytère et la vie du recteur au milieu de ses paysans. M. Sainte-Beuve, à propos de Jocelyn, mettant en scène cette famille de pasteurs et de vicaires chantés par les poètes ou poêles eux-mêmes, comme il y en a de si gracieux exemples en Angleterre et en Allemagne, ajoute ces mots : « La vie de nos curés de campagne en France n’a rien qui favorise un genre pareil d’inspiration et de poésie. S’il avait pu naître quelque part, c’eût été en Bretagne, où les pauvres clercs, après quelques années de séminaire dans les Côtes-du-Nord, retombent d’ordinaire à quelque hameau voisin du lieu natal. M. Brizeux nous a introduits parmi ce joyeux essaim d’écoliers qui bourdonnait et gazouillait autour des haies du presbytère chez son curé d’Arzannô. » Arzannô, comme on voit, est déjà un lieu consacré dans l’histoire de la poésie ; on le citait, il y a vingt ans, à côté du déli-