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ses romans. Nous resterons, s’il vous plaît, dans les hautes régions de la société, parmi les seigneurs et maîtres du pays. Il est mutile de dire qu’à l’heure présente encore, le comté est soumis à l’influence aristocratique ; cependant, par suite de nombreuses circonstances, cette influence baisse forcément. Le plus puissant seigneur du pays, le duc d’Omnium, est whig, et par conséquent l’intérêt politique du comté est essentiellement whig. Curieux personnage, ce duc d’Omnium. C’est un whig de la vieille école, un de ces despotiques patriciens dont vous rencontrerez le type accompli sous la restauration des Stuarts et le règne de Guillaume III, un de ces patriciens dont l’idéal de gouvernement, selon la remarque ingénieuse de M. Disraeli, se rapprochait singulièrement du gouvernement vénitien, une république de grands, seigneurs avec un doge sous le nom de roi ; type curieux, qui commence à disparaître, de libéralisme insolent, d’orgueil factieux et de sécheresse aristocratique ! Le whig d’autrefois, dont le duc d’Omnium est un des derniers représentai, formait un contraste frappant avec le vieux tory royaliste, aux opinions despotiques et au cœur populaire. Lord Omnium, on peut le croire, n’est pas un courtisan ; il se moque des faveurs de la cour. Le premier ministre, s’il est whig, n’est tout simplement que l’intendant chargé d’administrer ses intérêts politiques ; s’il n’est pas whig, c’est un intrus dont on doit se défier, et qu’il faut songer à remplacer au plus vite. La reine est sa dogaresse, et lorsqu’il lui arrive d’aller à la cour, il ne manque jamais de faire comprendre, d’une manière ou d’une autre, que la reine n’est que la reine, et qu’il est le duc d’Omnium. Pourquoi ne traiterait-il pas d’égal à égal ? Son revenu est aussi considérable que celui de la reine, sa position est plus indépendante, et si son influence est moins étendue, elle est certainement plus directe. Il a été, dit-on, un grand débauché, telle est au moins la rumeur publique, mais personne n’a jamais rien vu de ses débauches, car le duc est aussi discret qu’orgueilleux ; il évite le scandale par fierté, sinon par vertu.

« Il y avait hier soir une nombreuse réunion chez le duc de Bed-ford, et on a adopté telle ligne de conduite sur l’avis du noble duc, » disaient les journaux anglais à l’époque d’une des dernières crises ministérielles. « Vraiment ! répondait quelques jours après un pamphlétaire d’origine irlandaise, et l’on viendra nous parler de la liberté du parlement ! Le duc de Bedford a émis un avis ! et qui donc se soucie dans le peuple de l’avis du duc de Bedford ? qui donc l’a jamais connu ? à quelle importante mesure politique a-t-il attaché son nom ? Le public connaît un certain membre de la famille des Russell, l’honorable lord John ; mais quoi ! ce n’est pas lui dont on prend l’avis, c’est le duc de Bedford ! » Ah ! mon Dieu,