Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

controversiste si abstrait naguère, si hérissé de formules, et à qui manquait par-dessus tout le sentiment de la vie historique, excelle maintenant à reproduire des figures qui se meuvent librement sous nos yeux. Ce n’est pas que ce livre, irréprochable au point de vue de l’érudition et de l’art, doive agréer sans réserve à une critique impartiale. M. Strauss dit spirituellement dans sa préface : « Je souhaite à cet écrit beaucoup de lecteurs, non-seulement des lecteurs favorables et qu’il puisse satisfaire, mais des lecteurs à qui il déplaise ; que serait un livre sur Ulric de Hutten dont tout le monde serait content ? Puisse mon œuvre irriter au fond du cœur tous ceux qu’irriterait mon héros s’il vivait aujourd’hui ! » Ce n’est pas à moi de prendre la parole pour les hommes que brave si résolument M. Strauss : Ulric de Hutten a été l’adversaire de tous les despotismes, et, quelques erreurs qu’il ait pu commettre, j’admire son courage et sa franchise ; mais ces erreurs cependant, ne faut-il pas les signaler ? Une histoire de ce fougueux personnage doit-elle être un perpétuel panégyrique ? M. Michelet, dans son volume sur la réforme, a tracé en quelques pages un portrait d’Ulric de Hutten où toutes les nuances sont marquées. À côté des qualités sérieuses, vous voyez les ridicules et les fautes. Le hardi soldat et le pauvre diable, la grande voix de la révolution et l’hôte famélique de l’archevêque de Mayence, l’écrivain batailleur et l’oiseau plumé, tous ces traits de la physionomie de Hutten sont indiqués d’une main sûre. Le personnage de M. Strauss est trop constamment un héros sans peur et sans reproche. Une fois le ton admis, l’œuvre du biographe allemand est pleine des plus curieux détails. L’Allemagne n’avait encore ni une biographie complète d’Ulric de Hutten, ni une édition exacte de ses œuvres ; M. Edouard Bocking, qui prépare depuis longues années cette édition définitive, a généreusement livré à son confrère le résultat de ses recherches. Désormais on ne pourra plus parler d’Ulric de Hutten sans tenir grand compte de l’œuvre de M. Strauss. On remarquera surtout l’appréciation littéraire du héros ; ces pamphlets de Hutten, si souvent inintelligibles, sont confrontés avec les événemens, éclairés d’une vive lumière. On peut dire qu’il y a deux hommes chez M. Strauss, un théologien et un artiste ; le théologien est trop passionné pour être à l’abri des erreurs, l’artiste a pris rang parmi les maîtres.

Il y aurait à citer encore d’autres ouvrages où l’on remarque ce goût de la réalité historique ; cette union de la science et de l’art, si visibles dans les travaux de ces derniers temps. M. le major Beitzke, qui a écrit récemment avec une verve toute militaire, et aux applaudissemens de son pays, une histoire des guerres de 1813, vient d’obtenir le même succès en racontant la campagne de Russie.