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bacchante Agave, qui vient de déchirer son fils dans les fureurs de l’orgie, descend du Cithéron en tenant la tête de la victime à la pointe de son thyrse, l’acteur qui jouait ce rôle parut avec la tête du général romain, et entonna les vers du poète au milieu d’acclamations féroces : « Venez voir la proie sauvage que nous avons terrassée,… nos mains nous ont suffi pour la déchirer en pièces ! » Ce trait si vivement placé dans le tableau, à la manière d’Augustin Thierry, résume toute la pensée de l’auteur. L’hellénisme, qui régnait naguère dans ces contrées, représenté maintenant par des histrions, ne servait plus qu’à divertir l’Orient barbare et à chanter en son honneur les désastres de la civilisation occidentale.

Que de choses encore il faudrait mettre en relief ! Cette histoire est pleine de surprises et d’émotions ; mais j’en ai dit assez pour montrer à quelles préoccupations générales a répondu l’éloquent historien. C’est la passion du vrai qui domine dans ce livre. L’érudition, qui était jadis un but pour les écrivains de l’Allemagne, n’est plus aujourd’hui qu’un moyen ; le but, c’est, pour ainsi dire, la prise de possession de la réalité. Juger les hommes, aiguiser le sens pratique, prêcher l’amour de l’action par le spectacle de l’action, voilà ce que veut M. Mommsen. C’est toujours le même instinct qui, dans le domaine philosophique, rejette les spéculations inutiles et ramène les rêveurs à l’étude de la vie.

Dans un autre livre qui obtient un grand succès en Allemagne, on retrouve, comme chez M. Mommsen, cette psychologie vivante que recherche la jeune école historique. C’est aussi une œuvre consacrée à l’antiquité, une œuvre qui a exigé d’immenses lectures, d’effrayans labeurs, et où l’esprit nouveau est d’autant plus visible. Il y a quelques années, M. Max Duncker, alors une des lumières de l’université de Halle, aujourd’hui professeur à Tubingue, entreprit de résumer tous les travaux accomplis depuis plus d’un demi-siècle par les orientalistes, et de donner l’histoire du vieil Orient. Nous l’avons, cette histoire, et si l’on peut dire que sans Franz Bopp et Eugène Burnouf, sans Lepsius et Champollion, sans Boeckh, Movers, Gerhard, Rawlinson et bien d’autres, elle n’aurait pu exister, il convient aussi d’ajouter que sans M. Max Duncker on l’attendrait encore. À côté de ces pionniers infatigables qui vont déterrer, au prix de tant d’efforts, quelques débris des civilisations disparues, il n’est pas inutile qu’il y ait un architecte pour coordonner ces matériaux et ouvrir aux laïques le sanctuaire de la science. C’est ce qu’a fait M. Duncker, et l’occasion de l’en féliciter s’est déjà offerte[1]. Depuis lors, l’architecte a poursuivi sa tâche. Ce n’est

  1. Voyez, dans la livraison du 1er août 1856, l’Allemagne littéraire.