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la caisse d’où le trésor a été enlevé. Cependant, le jour où Caton se donne la mort, ce courage touche l’historien, et, sans effacer ce qu’il vient d’écrire, il lui accorde des éloges qui se combinent étrangement avec ses invectives. « Sur cette scène du monde où avaient paru de si grands et de si profonds hommes d’état, c’est l’insensé, chose étonnante, qui était destiné à représenter l’épilogue ! Si Caton n’avait pas été un insensé, sa mort ne serait pas si émouvante ; c’est précisément parce que don Quichotte était fou que don Quichotte est une tragique figure. » Voilà l’oraison funèbre de Caton. Or quelques pages plus haut, à la veille de la bataille de Thapsus, au moment où les chefs de l’armée républicaine perdent la tête, cet idiot est le seul qui montre du sens et de l’énergie, cet aveugle est le seul qui voie clair. Au Caton burlesque de M. Mommsen j’oppose le Caton qu’il n’a pu nous dissimuler tout entier. Pourquoi ne s’est-il pas souvenu de la haute place que Virgile, sous les yeux d’Auguste, n’a pas craint d’assigner à Caton parmi les plus belles âmes de Rome ? ou plutôt, sans lui rappeler d’autre témoignage que le sien, comment peut-il concilier ces plaisanteries d’un goût douteux avec les éloquentes paroles qu’il prononce sur le résultat de sa mort ? « Sa mort, dit-il, ne fut pas perdue pour sa cause. Ce fut une terrible protestation de la république contre la monarchie que ce départ du dernier républicain au moment où arrivait le premier monarque. Cette constitution savamment modérée dont César enveloppait sa monarchie fut déchirée par Caton mourant comme une toile d’araignée ; ce talisman de César, la réconciliation de tous les partis, sous lequel s’était formé le nouvel empire, fut convaincu d’imposture aux yeux de l’univers. La guerre impitoyable que, depuis Cassius et Brutus jusqu’à Thraséas et Tacite, et bien plus tard encore, le fantôme de la république légitime fit à la monarchie césarienne, cette guerre de la littérature et des conjurations est le legs de Caton à ses adversaires. C’est à Caton que l’opposition républicaine emprunta son attitude aristocratique, hautaine, déclamatoire, prétentieusement rigide, sa conviction sans espoir et pourtant fidèle jusqu’à la mort. Cet homme, qui pendant sa vie avait été si souvent pour son parti un embarras et un objet de risée, dès qu’il fut mort, l’opposition se mit à le vénérer comme un saint. Et le plus grand de tous ces hommages, ce fut celui que César lui rendit sans le vouloir, — César, qui avait traité tous ses ennemis, pompéiens ou républicains, avec une clémence au fond si dédaigneuse, et qui, ne faisant exception que pour Caton, le poursuivit même au-delà du tombeau d’une haine implacable. Lorsque des hommes d’état pratiques sont attaqués par leurs adversaires dans ce domaine de l’idéal si plein de dangers pour eux, et dont l’accès même leur est fermé,