qu’il construit, et si l’interprétation de l’historien n’est pas ici le rêve d’un poète, on comprendra la place unique assignée à César dans les annales du genre humain. C’était l’homme complet, dit M. Mommsen. Bien des souverains ont pris son titre, aucun n’en avait le droit ; il est le premier, non, il est le seul empereur, le seul César, der erste und doch auch der einzige imperator Cæsar.
Est-il besoin de dire que M. Mommsen ne fait pas une œuvre de parti ? Il y a des époques où l’histoire romaine devient une sorte de champ de bataille ; M. Mommsen ne cherche que la vérité, et quand il croit l’avoir découverte, il l’expose avec une verve audacieuse. S’il avait voulu satisfaire un des partis, un des systèmes politiques qui divisent la société germanique et romane, on ne saurait être plus maladroit ; il est probable qu’il les offensera tous. C’est précisément ce dédain des partis, ce mépris des opinions toutes faites, cette passion du juste et du vrai, même appliquée à faux, qui donnent un intérêt vivant au livre de M. Mommsen. On peut contester bien des jugemens de l’historien : il est impossible, si l’on porte un cœur libre, de ne pas ressentir les émotions viriles que produit le spectacle d’une pensée indépendante et fière.
Un critique allemand, M. Julien Schmidt, si je ne me trompe, prévoyant à quelles attaques serait exposé M. Mommsen, l’encourageait récemment à dédaigner les cris des rhéteurs[1]. Un homme, disait-il, qui a passé sa vie à étudier l’histoire romaine, qui en sait les moindres détails, qui connaît la vie secrète et publique des personnages qu’il met en scène, a bien le droit de heurter nos préjugés et de ne pas écouter les réclamations de la routine. J’y consens ; mais si ces réclamations sont fondées sur les documens de M. Mommsen lui-même, il faudra bien qu’il les entende. Or les contradictions sont nombreuses dans son tableau. Que M. Mommsen prodigue l’injure à Cicéron, qu’il l’appelle un lâche, un bavard, un héros de parade, un feuilletoniste, de savans écrivains, Drumann par exemple, avaient été aussi sévères, en des termes moins singuliers il est vrai, et Cicéron n’a pas perdu son rang parmi les hommes qui ont servi et honoré le genre humain. D’ailleurs, dans toutes les pages où il met en scène l’auteur du De Offîciis, l’historien allemand est conséquent avec lui-même ; le mépris qu’il lui porte ne se dément pas une seule fois. Ce sont les contradictions de M. Mommsen que j’ai à cœur de signaler. En voici une, la plus criante à mon avis, et qui me dispensera de citer les autres. Caton est le dernier défenseur de la république, morte depuis bien des années ; M. Mommsen fait de Caton un personnage grotesque, un don Quichotte, un fou, un idiot, une sentinelle stupide qui garde obstinément
- ↑ Voyez un article sans signature dans les Grenzboten, octobre 1857.