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au récit), quand l’auteur arrive aux grandes journées de l’histoire, sa narration, rapide, dramatique, est pleine de faits nouveaux et de jugemens inattendus. Le roi Pyrrhus, si cher à Niebuhr comme un représentant de l’hellénisme, apparaît à M. Mommsen sous les traits d’un aventurier de second ordre. Scipion, le conquérant de l’Afrique et de l’Asie, ne lui inspire pas une admiration sans réserve : « c’était, dit-il, une nature composée d’or et de clinquant, et il avait besoin de l’éclat de la jeunesse pour exercer son prestige. » Annibal est peint avec grandeur. Philippe de Macédoine et Persée, « ces rois à la douzaine, qui, en des temps ordinaires, n’auraient été ni pires ni meilleurs que d’autres, mais si inférieurs à la tâche que leur assignait la destinée, » nous sont expliqués et décrits comme par un diplomate moderne. Dans la politique étrangère comme dans l’histoire intérieure de Rome, M. Mommsen est pourvu d’informations précises ; il juge les choses et les hommes avec une liberté d’esprit qui ne se dément jamais. Tout cela n’est rien encore cependant ; attendez que la révolution romaine éclate, et vous verrez quelle verve d’indépendance va déployer l’historien ! Cette révolution, ce n’est pas seulement pour M. Mommsen une révolution partielle, c’est l’immense et redoutable crise qui commence avec Caïus Gracchus et finit à César. Tiberius Gracchus, à son avis, est le dernier des réformateurs qui ont essayé de conjurer la révolution imminente. Ce sera, si vous voulez, le Turgot de l’aristocratie romaine ; son frère Caïus en est le Mirabeau. Cette crise, qui dure une centaine d’années, M. Mommsen y consacre la plus grande partie de son ouvrage. On voit que c’est là pour lui le sujet décisif.

La république romaine, c’est-à-dire le gouvernement d’une oligarchie despotique, ne pouvait pas durer depuis que Rome n’était plus une ville, une commune, la première commune de l’Italie, mais la maîtresse du monde. Pourquoi faut-il que la révolution et la monarchie qui devait en sortir n’aient pas triomphé à une époque où la nation était encore saine et capable de grandes choses ? Cette monarchie équitable, libérale, pacifique, cette suprême magistrature, presque moderne et chrétienne, a été entrevue par Caïus Gracchus et réalisée par César ! Quand César s’en empara, la nation n’était plus qu’un cadavre. — Voilà en deux mots le système politique de M. Mommsen. Il déteste l’oligarchie, à cause de l’insolence et de la petitesse de ses pensées ; il l’attaque, il l’injurie, comme s’il eût souffert lui-même de sa politique odieuse ; il l’apostrophe avec trivialité, comme un démagogue de la rue ; il l’appelle la clique. Ne croyez pas cependant qu’il ait des complaisances pour la démocratie bavarde : tout ce qui est vulgaire et faux lui répugne. Au contraire, s’il voit chez ses ennemis des qualités éminentes, il les signale avec impartialité. Son portrait de Sylla est vivant. Certes ce don Juan