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vivement les conséquences funestes de ses doctrines, et en face de ce panthéisme gigantesque au sein duquel tous les êtres s’engloutissent, il résolut de relever scientifiquement la réalité tout entière. L’entreprise était belle ; il s’agissait à la fois de retrouver l’homme et de retrouver Dieu. Si M. Fischer vient contredire les hégéliens aujourd’hui que les hégéliens sont dispersés, on ne l’accusera pas de flatter les vulgaires instincts de la réaction ; il ne fait que poursuivre une œuvre commencée à l’heure du péril. En 1834, il donnait un Essai de métaphysique, où il s’efforçait d’établir ce qu’il appelle un théisme concret, en opposition au panthéisme de Hegel. Cinq ans plus tard, revenant sur ce sujet avec des développemens nouveaux, il publiait une théodicée sous ce titre : l’Idée de Dieu. Assez récemment enfin, il composait une Encyclopédie des sciences philosophiques, dont le troisième et dernier volume est spécialement intitulé Philosophie de la religion. C’est ce volume que je dois signaler ici[1] ; les précédens travaux de l’auteur n’en étaient que la préparation. Avant qu’il eût fait paraître cet ouvrage, on pouvait le féliciter de l’appui qu’il avait prêté à la cause du spiritualisme, à la doctrine d’un Dieu intelligent et libre ; on ne connaissait pas encore son ambitieux programme. La constante préoccupation de M. Fischer, le couronnement projeté de son édifice, c’était cette philosophie religieuse qu’il aurait pu appeler philosophie du christianisme.

Cette philosophie du christianisme assurément n’est pas une œuvre ordinaire ; l’auteur y déploie une grande noblesse dépensée lorsqu’il établit les droits de la théologie spéculative. « Une philosophie superficielle, s’écrie-t-il, éloigne de la religion, une philosophie profonde y ramène ; ce principe résume toutes les recherches d’un Kepler ou d’un Newton, comme celles d’un Bacon et d’un Leibnitz. Il ne manque pas de prétendus penseurs en Allemagne qui font consister l’indépendance de la philosophie dans la négation absolue de la religion ; nous sommes autorisé à dire qu’ils ne soupçonnent ni la religion ni la philosophie. Étranges psychologues qui font du sentiment religieux une illusion de l’esprit ou une maladie du cœur ! Pour nous, qui savons et par l’histoire et par nous-mêmes que le sentiment religieux est le légitime produit des consciences saines et fortes, interrogeons sans crainte la philosophie de la religion, et dussions-nous, à la fin de nos recherches, nous trouver d’accord avec le christianisme positif, nous n’en serons pas moins des philosophes, car nous aurons méthodiquement et librement cherché la vérité. » Voilà de belles promesses ; par malheur, cette liberté dont parle M. Fischer est une liberté singulièrement aventureuse, et sa méthode est une méthode barbare. M. Fischer

  1. Grundzüge des Systems der speculativen Theologie oder der Religions-Philosophie, von Dr Karl Philipp Fischer ; 1 vol., Francfort 1855.