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I

La philosophie allemande, depuis quelques années, présente un caractère inattendu ; ce caractère et les circonstances qui l’ont produit doivent être indiqués nettement. Un premier symptôme à noter, c’est que la logique, si audacieuse naguère, et qui trop souvent se confondait avec l’imagination, s’impose aujourd’hui les plus sévères études ; les constructeurs d’abstractions ont fait place à des esprits pratiques, amoureux de la réalité, préoccupés de faits, et luttant de précision avec les sciences exactes.

J’ai déjà eu l’occasion de signaler les services rendus par M. Wirth, MM. Fortlage, Maurice Carrière, Hermann Ulrici, et celui qu’on peut considérer comme leur chef, M. Hermann Fichte, fils de l’illustre rival de Kant et de Schelling[1]. Il y a là un petit groupe d’hommes fermement dévoués au spiritualisme, et qui ont l’œil ouvert sur tous les périls de notre temps. Cette école continue ses travaux, et elle a fini par imprimer une direction toute nouvelle à la science des idées. Un philosophe qui étudierait les écrits de ce groupe spiritualiste y trouverait certainement, même dans des ouvrages demeurés inconnus, bien des richesses de détail ; pour nous, historien de la vie intellectuelle de l’Allemagne plutôt que du travail secret de la science, ce que nous devons interroger avant tout, ce sont les livres qu’on a lus, les ouvrages qui ont excité l’attention, ou ceux qui, par leur caractère général, par le but qu’ils se proposent et la place qu’ils occupent, peuvent servir à mettre en relief le mouvement de la pensée publique.

Voulez-vous observer dans des exemples vivans le contraste de la philosophie allemande du temps de Hegel avec celle qui se déclare aujourd’hui ? En face de l’école qui essaie de s’organiser sous nos yeux, il serait assez piquant de voir paraître un penseur resté obstinément fidèle aux allures toutes différentes de l’ancien idéalisme. Ce penseur, le voici ; c’est M. Charles-Philippe Fischer, professeur à l’université d’Erlangen. Pour comprendre l’originalité de l’esprit nouveau, marquons d’abord ce que signifie cette singulière apparition. Nul point de départ ne vaudrait celui-là ; ce revenant d’un autre âge nous fera mieux apprécier la période qui commence. M. Fischer n’appartient pas au groupe d’écrivains qui suit la direction de M. Hermann Fichte. Il y a déjà plus de vingt ans qu’il a publié son premier ouvrage. Hegel venait de mourir ; la philosophie hégélienne dominait encore dans les écoles et dans les lettres : M. Fischer, tout en rendant hommage au génie du maître, sentit

  1. Voyez, dans la Revue du 15 août 1853, l’étude sur le Mouvement littéraire de l’Allemagne, la Rénovation philosophique et religieuse depuis 1850.