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fourd est la même que développe M. Édouard Laboulaye. Il invoquait comme un droit naturel la perpétuité de la propriété littéraire, et il puisait dans les exemples connus de la pauvreté des auteurs célèbres et de leurs descendans l’élément pathétique de son plaidoyer. Le fervent avocat de l’extension de la propriété littéraire rencontra un contradicteur inattendu, mais assurément digne de lui, dans le plus grand écrivain de l’Angleterre contemporaine, Macaulay. Nous regrettons que MM. Laboulaye n’aient pas joint la traduction du spirituel discours de Macaulay à celle des harangues de Talfourd : l’intérêt de leur publication y eût encore gagné. La conclusion que nous tirerions, pour notre part, d’une controverse soutenue par de si belles intelligences, serait celle-ci. Au point de vue du droit absolu, la perpétuité de la propriété, littéraire n’est pas soutenable. Nous pensons, avec lord Macaulay, que cette propriété, comme les autres, n’existe pas en vertu d’un droit antérieur et supérieur à la société, qu’elle ne découle que de la loi, et que la loi doit en déterminer les conditions suivant les convenances sociales. On ne peut pas résoudre convenablement la question de la propriété littéraire d’après des principes absolus. « Ici, suivant le mot spirituel de Macaulay, comme, dans les questions civiles soumises à la prudence du législateur, la vérité n’est ni blanche ni noire, elle est grise. » Il s’agit de balancer le mieux possible certains avantages et certains désavantages. Il est équitable que l’écrivain ait de son vivant la propriété de ses œuvres, car ses œuvres sont la création de son travail, et comme les autres producteurs il a droit à jouir des fruits de son travail. Il est en même temps avantageux à la société qu’il en soit ainsi, car il importe à la société que L’écrivain puisse trouver, dans la rémunération de ses œuvres, obtenue du public, la garantie matérielle de son indépendance et de l’incorruptibilité de son talent ou de son génie. L’écrivain mort, la question change de face : les législations diverses, qui varient tant sur les conditions et la forme de l’héritage, peuvent bien distinguer la transmission de la propriété littéraire de la transmission des autres propriétés, suivant les caractères propres de cette propriété et les avantages que la société en peut attendre. Si la volonté de l’auteur gouvernait la destinée de ses livres après sa mort, il est évident que cette volonté tendrait à la diffusion la plus large possible de ces livres. L’essence même du travail, intellectuel et littéraire, c’est de se communiquer, de donner ses créations au plus grand nombre possible d’intelligences humaines. Les grandes œuvres philosophiques, religieuses, politiques et scientifiques sont des œuvres de propagande, de prosélytisme, d’enseignement ; c’est dire qu’elles aspirent à se répandre dans l’espace et dans le temps, partout où elles trouveront un esprit à éclairer, une conscience à ébranler, un, cœur à émouvoir. Il en est de même des œuvres poétiques et littéraires, manifestations communicatives du beau, du pathétique et du sublime. Or l’intérêt social est identique à la volonté certaine de l’auteur sur la destinée de son œuvre et à l’essence de toute création intellectuelle ; l’intérêt de la société prescrit que le poème destiné à élever et à charmer, les âmes, que le système philosophique qui ouvre et féconde les intelligences, que l’œuvre morale qui doit combattre les penchans pervers arrivent le plus tôt et le plus aisément qu’il se pourra aux intelligences pour lesquelles, ces créations de la pensée ont