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pour sa consommation. Enfin n’y a-t-il pas une sorte d’immoralité à placer le commerce des céréales dans une situation telle qu’aux incertitudes naturelles inséparables de toutes les spéculations mercantiles viennent se joindre les incertitudes artificielles d’un tarif qui peut varier tous les quinze jours ?

Voilà les questions qui agiteraient un peuple affranchi des tutelles arbitraires et qui prendrait goût à ses propres affaires, voilà les questions qu’une presse libre et vivante éluciderait pour lui. L’empereur cependant, dans un discours adressé au corps législatif, invitait, il y a deux ans, le pays à étudier l’économie politique. Quel profit a-t-on fait de ce sage conseil ? À en juger par le mauvais vouloir que rencontre en certains lieux l’économie politique, il est facile de s’expliquer l’inefficacité des exhortations impériales. Nous parlions, il y a quinze jours, d’une généreuse tentative du conseil-général de l’Hérault en faveur de la diffusion des lumières économiques. Il s’agissait de fonder à Montpellier une chaire libre d’économie politique, et les membres du conseil-général demandaient à accomplir cette œuvre à leurs propres frais. Il ne manquait qu’une autorisation ministérielle. Certes, jusqu’à ce jour en France, nous aurions cru qu’une autorisation ministérielle était plus facile à obtenir qu’un acte d’initiative désintéressée et soutenue de contributions volontaires émanant d’une association privée. Nous confessons notre erreur.

La noble tentative du conseil-général de l’Hérault demeure infructueuse. On assure que le motif des résistances que rencontre la fondation de cette nouvelle chaire libre serait la crainte que l’on aurait de voir demander la création d’autres chaires par des sectateurs de doctrines différentes, et l’appréhension que le conflit d’enseignemens contraires ne vint troubler la paix publique. S’il était vrai qu’une pareille fin de non-recevoir eût été opposée aux membres du conseil-général de l’Hérault et à l’économiste distingué sur lequel s’était arrêté leur choix, il nous serait facile de rassurer l’autorité compétente. Cette autorité peut tenir pour certain qu’une multitude d’hommes jeunes et instruits se disputeraient généreusement l’honneur de répandre dans le pays les principes libéraux de l’économie politique, mais que les intérêts contraires à ces principes ne trouveront jamais pour les défendre un professeur éclairé et qui respectera son talent. En matière d’enseignement économique pas plus qu’en matière d’industrie, les prohibitionistes n’accepteront la concurrence : il leur suffit de fermer la bouche à leurs adversaires, de même qu’ils ferment nos ports à leurs concurrens étrangers. Mais nous ne voulons pas croire qu’un conseil donné par l’empereur dans une circonstance solennelle puisse être intercepté par quelque commission ministérielle comme un objet de contrebande par une escouade de douaniers ; si nous avions le malheur de nous tromper, il faut convenir qu’on fournirait aux adversaires de l’autorisation préalable en matière d’enseignement scientifique un argument aussi puissant que celui que fournissent les tracasseries administratives aux partisans de la liberté religieuse.

Ainsi, quelque mouvement que veuille faire l’énergie individuelle dans notre spirituelle patrie, partout elle est retenue par la lisière protectrice. Telle est la conséquence d’un état de choses qui avait envahi la France pendant l’ancien régime, et que la révolution française, loin de le détruire, a