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que nous marchons vers l’abolition de la prohibition ? Le gouvernement n’a-t-il pas tenté, il y a deux ans, de purger nos lois de cette barbarie ? N’a-t-il pas donné aux intérêts prohibitionistes un délai de cinq années pour se préparer à un nouvel ordre de choses ? Puisqu’il en est ainsi, l’abolition des prohibitions dans la colonie algérienne ne serait-elle pas une transition pratique vers le régime qu’il faudra bien inaugurer en 1861 ? Ne serait-ce pas une sorte d’expérience à laquelle, personne ne le contestera, l’Algérie n’aurait rien à perdre dans aucun cas, mais qui serait profitable à la France, puisqu’elle permettrait d’estimer d’avance l’influence que pourra exercer sur notre industrie l’abolition des prohibitions ? Quant à la protection proprement dite, ne serait-il pas naturel de la soumettre en Algérie à un tarif particulier, dont les droits seraient réduits, par rapport à ceux du tarif français, du montant des dépenses de transbordement de fret et d’assurance que les produits étrangers auraient à supporter, s’ils voulaient arriver aux ports de la métropole en passant par ceux de la colonie ? » Voilà les questions que le simple bon sens aurait le droit d’adresser à l’impérieuse logique ; mais celle-ci, forte de la connivence de l’ignorance et de la paresse, ne déserterait pas pour si peu les avides intérêts privés qui l’invoquent. D’ailleurs la protection cherche à jeter des racines dans le sol même de l’Algérie. On veut faire produire du coton à notre colonie. Le coton qu’elle donne déjà est acheté par l’état, lequel le revend à perte. C’est ce qui s’appelle encourager l’industrie nationale. Si ce beau système continue, vous verrez que le droit de 10 pour 100 de la valeur, augmenté de décimes, que paie le coton, droit absurde, puisqu’il grève une matière première, mais qui, au moins jusqu’à présent, n’a qu’un caractère fiscal, sera maintenu et réclamé un jour pour la protection du coton algérien !

Le rétablissement de l’échelle mobile est un fait plus regrettable encore. L’échelle mobile est la pire forme de la protection, en ce que, variée suivant le système des zones, elle viole le principe de l’égalité en matière d’impôt, et qu’en outre elle fait du plus important des commerces, celui duquel dépend l’alimentation publique, le plus précaire et le plus aléatoire. Le système des zones pour le règlement des mercuriales et des variations de l’échelle mobile pouvait se justifier autrefois, lorsque la difficulté et la cherté des transports donnaient lieu à des différences de prix considérables entre les divers marchés ; mais entre l’époque où ce système fut établi et notre temps il n’y a plus de ressemblance. Aujourd’hui les grandes lignes de chemins de fer sont terminées, et mettent en communication toutes les parties du territoire national. Il ne peut plus y avoir désormais abondance dans un département, disette dans l’autre. Les approvisionnemens peuvent se répartir rapidement ; les prix tendent à se niveler : la division des zones n’a plus de raison d’être. L’incertitude constante qu’entretient dans le commerce des grains la mobilité de l’échelle des droits est en outre un obstacle évident à l’établissement permanent dans nos ports de vastes approvisionnemens en céréales. Il y a à la fois une singulière imprévoyance et une étrange témérité à décourager le commerce des grains et la formation de grands entrepôts de céréales en France, après que l’expérience d’une longue série d’années a prouvé que notre pays ne produit pas annuellement assez de grains