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été rendus avec distinction, celui de soprano par Mlle Deutz de Cologne, le ténor, par M. Goebbels d’Aix-la-Chapelle, et la basse a été remplie par M. Dumont-Fier de Cologne, qui a de la tenue dans le style. Tout ce monde de chanteurs était composé d’amateurs, de jeunes filles appartenant à toutes les classes de la société, les filles des millionnaires à côté des moins fortunées, sans morgue, sans prétention, les unes venant de Cologne, les autres de Dusseldorf, d’Aix-la-Chapelle, et des petites villes environnantes. Oh ! que nous sommes loin de ces mœurs-là en France, surtout dans les villes de province, où la vanité joue un rôle si désastreux et empoisonne la vie qu’on y mène ! C’était un spectacle délicieux que de voir cette salle de concert remplie de quinze cents personnes, les unes écoutant et les autres exécutant une œuvre de génie avec un respect religieux ! Après le concert, tout ce monde joyeux se réunit dans un casino où étaient préparés les élémens d’un bon souper qui se prolongea jusqu’à deux heures du matin. Je ne saurais trop remercier M. F. Hiller de m’avoir procuré un des plaisirs les plus vifs et les plus purs que j’aie éprouvés dans ma rapide excursion sur les bords du Rhin.

Je ne veux pas quitter ces villes populeuses et riches qui bordent la rive gauche du Rhin sans dire un mot de l’esprit qui anime les populations. M. Victor Hugo a dit d’elles : « Toute cette rive du Rhin nous aime, — j’ai presque dit : nous attend[1]. » Cela pouvait être vrai en 1839 ; cela ne l’est plus en 1858. J’ai eu l’honneur de m’entretenir, à Mayence, à Coblentz, à Bonn et à Cologne, avec des hommes distingués de tous les partis, et je les ai trouvés à peu près contens du gouvernement prussien, qui est modéré, économe, très éclairé. Toutes ces villes jouissent d’une grande liberté municipale, qu’elles ne sont pas disposées à sacrifier pour le prétendu bonheur de faire partie de la grande unité française. Elles espèrent d’ailleurs voir se développer les germes du gouvernement représentatif, qui s’implante peu à peu dans les mœurs de la nation, et s’attendent à des améliorations, lorsque le prince de Prusse, qui est un soldat, et non pas un bel esprit ni un théologien, aura la direction suprême du gouvernement. Son fils, qui vient d’épouser une fille de la reine d’Angleterre, a été, comme les princes de la maison d’Orléans, élevé au milieu de la génération qu’il doit gouverner un jour. Tout cela forme un ensemble d’espérances qui attachent les villes du Rhin au gouvernement prussien et à la grande famille allemande.

Le lendemain du festival de Crefeld, le chemin de fer me ramenait à Paris par Bruxelles, où je ne trouvais que de la musique que vous connaissez trop, et ainsi s’est terminée cette pérégrination sur les bords du Rhin, d’où je suis revenu sans avoir pu entendre un seul opéra de M. Richard Wagner. C’est à Vienne, Prague, Munich, Dresde, Leipzig et Berlin, qu’il faut chercher la musique allemande ; c’est là, oui là, dans ces villes où ne fleurissent pas les citronniers, que je voudrais aller. Les dieux permettront-ils que mon vœu s’accomplisse un jour ?


P. SCUDO.

  1. Le Rhin, 1ee v., p. 243.