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une vérité ; il applaudit lui-même, depuis le parterre jusqu’aux loges les plus élevées, faisant très bien sentir les différentes nuances de sa satisfaction. Quand il n’est pas content, il se tait, et jamais il n’afflige un pauvre artiste d’un bruit équivoque qui puisse l’humilier. Mais la joie la plus vive que j’aie éprouvée à Mayen ! e, c’est d’entendre enfin une bonne musique militaire, celle d’un régiment autrichien, qui, avec un régiment prussien, garde la forteresse fédérale. Oh ! que nous sommes loin à Paris, même dans les régimens les plus favorisés de la garde, de posséder un pareil ensemble, une si belle et si charmante variété de timbres ! M. Adolphe Sax y a mis bon ordre avec ses gros instrument de cuivre, qui sonnent creux, quand ils ne sonnent pas faux. Le jour où l’on écrira l’histoire de l’instrumentation en France depuis le commencement du siècle jusqu’en 1858, on devra signaler la fâcheuse influence qu’ont eue les instrumens de M. Sax sur la composition de nos orchestres et de nos musiques militaires, qui se ressemblent toutes par une grosse sonorité monotone qui enivre l’oreille au lieu de la charmer. Telle n’était pas la musique du régiment autrichien que j’ai entendue à Mayence : j’ai admiré la justesse parfaite de l’ensemble, la délicatesse des détails et le choix excellent des morceaux qu’on a exécutés. On trouve de la musique partout en Allemagne. Pendant que j’étais à table d’hôte, m’efforçant d’avaler une de ces mixtures de la cuisine allemande dont j’ai déjà parlé, je vis entrer trois hommes avec des instrumens et des cahiers à la main. Ils posèrent deux pupitres sur une table dans un coin de la salle, et, sans demander la permission à personne, ils se mirent à jouer des pots-pourris tirés des opéras de M. Verdi, dont la musique est très populaire dans les provinces rhénanes, L’un jouait le premier violon, le second l’alto, et le troisième la basse. Lorsque l’artiste qui dirigeait ce petit concert vint recevoir sa récompense, je lui dis : « Pourquoi ne jouez-vous pas de la musique allemande, quelques morceaux de M. Richard Wagner par exemple, que je serais bien aise d’entendre ? — Ach ! mein herr, me répondit-il, la musique de M. Richard Wagner,… on ne l’aime pas beaucoup ici ; cela n’est pas aussi facile à exécuter que du Haydn, du Mozart et du Beethoven. Je vais cependant essayer de vous satisfaire. » Et ils jouèrent en effet un morceau de je ne sais quel opéra de M. Wagner, qui n’avait ni commencement, ni milieu, ni fin. Ils se mirent à rire, en me saluant, à la fin du morceau.

Avant de quitter Mayence, qui n’est pas la ville la plus amusante du monde, j’ai fait une excursion dans le charmant royaume du duc de Nassau, à Sibérien et à Wiesbade, la capitale. Je n’y ai rien vu de bien remarquable, et n’y ai entendu que la musique d’un régiment prussien qui ne valait guère mieux que la première venue d’un régiment français. J’eus la curiosité d’entrer dans la Kursaal et de m’arrêter un instant devant une table de jeu qui était entourée de nombreux amateurs. Parmi les joueurs les plus attentifs, je remarquai une femme, une femme jeune, jolie, vêtue en amazone, avec un chapeau à plumes retroussé par l’un des bords, qui lui seyait à ravir. Elle suivait d’un œil bleu sombre une martingale en fixant une épingle sur le numéro qui venait de sortir. Elle paraissait être seule, personne ne lui parlait. Elle avait devant elle, sur le tapis vert, beaucoup d’argent disposé avec symétrie, Je ne pouvais détacher mes yeux de cette belle figure, sur