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naissant sous ces voiles la robe grise avec ses rubans souillés et traînans. C’est la baronne Hilda, morte ou captive !

— C’est une personne vivante, reprit le major fort ému en relevant le voile ; mais ce n’est pas la baronne Hilda. C’est une femme que je connais. Approchez, Joë Bœtsoï ; entrez, Christian. Il n’y a rien ici de ce que vous imaginiez. Il n’y a que la pauvre Karine, évanouie ou endormie.

— Non, non, dit le danneman en s’approchant doucement de sa sœur, elle ne dort pas, elle n’est pas évanouie, elle est en prières, et son esprit est dans le ciel. Ne la touchez pas, ne lui parlez pas, avant qu’elle se relève.

— Mais comment est-elle entrée ici ? dit M. Goefle.

— Oh ! cela, répondit le danneman, c’est un don qu’elle a d’aller où elle veut et d’entrer, comme les oiseaux de nuit, dans les fentes des vieux murs. Elle passe, sans y songer, par des endroits où je l’ai quelquefois suivie en recommandant mon âme à Dieu. Aussi je ne m’inquiète plus quand je ne la vois point à la maison ; je sais qu’il y a en elle une vertu, et qu’elle ne peut pas tomber ; mais voyez ! la voilà qui a fini de prier en elle-même : elle se lève, elle s’en va vers la porte. Elle prend ses clés à sa ceinture. Ce sont des clés qu’elle a toujours gardées comme des reliques, et nous ne savions pas d’où elles lui venaient…

— Observons-la, dit M. Goefle, puisqu’elle ne paraît pas nous voir, ni nous entendre. Que fait-elle en ce moment ?

— Ah ! cela, dit le danneman, c’est une habitude qu’elle a de vouloir trouver une porte à ouvrir, quand elle rencontre certains murs. Voyez ! elle y pose sa clé, et elle la tourne, et puis elle voit qu’elle s’est trompée, elle va plus loin.

— Ah ! dit M. Goefle, voilà qui m’explique les petits cercles tracés sur le mur, dans la salle de l’ourse.

— Puis-je lui parler ? dit Christian, qui s’était approché de Karine.

— Vous le pouvez, répondit le danneman, elle vous répondra si votre voix lui plaît.

— Karine Bœtsoï, dit Christian à la voyante, que cherches-tu ici ?

— Ne m’appelle pas Karine Bœtsoï, répondit-elle, Karine est morte. Je suis la vala des anciens jours, celle qu’il ne faut point nommer !

— Où veux-tu donc aller ?

— Dans la chambre de l’ourse. Ont-ils déjà muré la porte ?

— Non, dit Christian ; je vais t’y conduire. Veux-tu me donner la main ?

— Marche ! dit Karine, je te suivrai.

— Tu me vois donc ?