une rareté. Cet oiseau, à peu près de la grosseur d’une grue, était connu sous le nom de paon marin ou d’oiseau royal. La renommée en porta la description jusqu’au ministre de la marine, qui était alors M. Forfait. Le ministre jugea que ce bel animal pourrait être agréable à la femme du premier consul, et je soupçonne qu’il vit dans le nom que portait l’oiseau d’Acra l’occasion d’une allusion adroite au rôle que l’opinion publique assignait déjà au général Bonaparte. Quoi qu’il en fût, apprenant que je devais me rendre à Paris, il me fit prier d’y apporter mon oiseau royal. Hommage en fut fait à Mme Bonaparte, qui me fit inviter quelques jours après à me rendre à la Malmaison. On sait quelle grâce et quelle bienveillance séduisante distinguaient la veuve du général Beauharnais. Elle m’engagea à l’accompagner dans le parc, et sembla prendre plaisir à me faire raconter mes voyages. Quoique jeune, j’avais déjà beaucoup couru le monde ; j’avais surtout visité des contrées où nul n’avait pénétré avant les officiers de la Truite et de la Durance. Lorsque nous rentrâmes dans le salon, on prit soin de ne pas me laisser isolé au milieu de ce monde nouveau pour moi, et un jeune homme se chargea de me désigner par leurs noms toutes les célébrités qui devaient ce jour-là dîner à la Malmaison. Après le repas, qui fut très court, Mme Bonaparte vint à moi et me dit : « Ne partez pas, je veux vous présenter au premier consul. » Le premier consul étant absorbé dans de graves entretiens avec l’ambassadeur d’Autriche, M. de Cobentzel, et quelques autres personnages importans, Mme Bonaparte eut la bonté de me renouveler son aimable promesse, et de m’engager à l’aller voir aussitôt qu’elle serait de retour à Paris ; mais, faut-il confesser ici ma gaucherie ou ma rudesse ? les prières de mes parens et de mes amis, ne purent jamais obtenir de moi que je répondisse à cette invitation si gracieuse. Je n’avais rien à solliciter ; je n’attendais de récompense que de mes bons services, et, sans être frondeur, je sentais que je ferais sans grâce le métier de courtisan.
Je passai près de cinq mois à Paris sans perdre de vue mon désir de retourner à la mer. Le vice-amiral Bruix allait se rendre à Rochefort pour y prendre le commandement d’une escadre. Je lui fus présenté. Il m’accueillit avec une extrême bienveillance, m’offrit de me faire donner un commandement sous ses ordres, et en attendant m’attacha à sa personne en qualité d’aide-de-camp. Il voulait que je prisse le commandement de la frégate la Cornélie portant du 18 et ayant la réputation d’une excellente marcheuse ; mais la Mignonne allait être réarmée. Je connaissais les qualités de cette frégate. Je n’étais pas certain de celles du bâtiment qu’on m’offrait pour la remplacer. Je demeurai fidèle au navire qui, pendant dix-sept mois,