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La Mignonne cependant poursuivait sa route vers le fond du golfe de Gascogne. Le 15 septembre, elle était à la cape, ballottée par de gros vents de sud-ouest, quand les vigies signalèrent tout à coup devant nous un convoi de plus de deux cents voiles. Les frégates qui escortaient cette flotte marchande s’en détachèrent et se mirent à notre poursuite ; mais elles n’étaient point de taille à lutter de vitesse avec la Mignonne. Dès qu’une épreuve de quelques heures les eut convaincues de leur impuissance, elles retournèrent près du convoi, dont elles craignaient qu’une plus longue chasse ne vînt à les séparer. Ce fut à mon tour de les suivre. En dépit de leur surveillance, je me jetai sur la queue du troupeau, et dès la nuit même je coulai deux navires. La nuit suivante, j’en capturai un troisième auquel je mis le feu. Pendant que l’incendie attirait de ce côté l’attention des convoyeurs, j’avais déjà repris ma route vers Rochefort.

J’étais parti de la rade de l’île d’Aix le 7 mai 1799. J’y rentrai le 21 septembre 1800, après mille fatigues et de grandes espérances, auxquelles les résultats n’avaient guère répondu. Sur trois frégates expédiées dans les meilleures conditions et avec le plan le mieux combiné, l’ennemi en avait capturé deux. Le dommage que nous avions causé à son commerce valait-il du moins la perte de ces deux frégates et de leurs sept cents hommes ? En vérité, je suis loin de le croire. Je ne veux point sans doute proscrire absolument ces campagnes de course : n’eussent-elles d’autre but et d’autre avantage que de diviser les forces de l’ennemi, elles auraient encore leur raison d’être ; mais j’affirme aussi qu’il ne faut leur attribuer dans le plan général qu’une importance tout à fait secondaire. Des guérillas ne sont pas une armée, et la France ne serait excusable de borner son ambition à ce triste métier de maraudeurs que s’il lui était interdit d’aspirer à avoir une grande marine. Or sous ce rapport le passé a prouvé que vouloir c’est pouvoir, et l’avenir est là, je l’espère bien, pour le prouver encore.


III

Notre arrivée à Rochefort fut un véritable événement. La frégate s’arrêta quelques jours aux divers coudes de la Charente avant de pouvoir remonter jusqu’au port, et pendant tout ce temps il ne fut bruit en ville que des trésors rapportés par les marins de la Mignonne. On oubliait le sort des deux autres frégates pour ne voir que notre heureux retour. Si j’avais demandé en ce moment l’équipage d’un vaisseau, je l’aurais aisément trouvé, ne fût-ce que parmi les ouvriers ou les jeunes vagabonds du port. Ces richesses cependant