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Dans les années qui suivirent et à travers les grands soulèvemens de l’Europe, une fois encore un contre-coup indirect de la France sembla pour quelque temps raffermir la Turquie. L’empereur Napoléon avait, dans une occasion solennelle, à l’ouverture du corps législatif de 1809, annoncé, comme un événement agréable à ses yeux, la réunion de la Moldavie et de la Valachie au vaste empire du tsar, qu’il nommait alors son allié et son ami. Deux ans après, la Russie, qui, depuis cette acquisition ainsi reconnue, n’en avait pas moins continué la guerre contre le sultan, lui accordait tout à coup la paix et lui rendait les deux provinces, pour se concentrer tout entière dans une résistance désespérée contre un bien autre ennemi venu de l’Occident. On sait ce que cette paix avec la Turquie et le retour immédiat d’une armée russe de plus ajoutèrent pour les Français au désastre de la campagne de 1812. La Turquie alors eut une action puissante dans sa faiblesse : elle se trouva partie nécessaire et intégrante de la coalition qui allait briser la puissance du dictateur revenu de la Bérésina, pour vaincre inutilement à Bautzen et à Lutzen.

Au fond, ces grands duels des nations civilisées, ces guerres de patriotisme et d’ambition étaient une trêve heureuse, un répit de sécurité pour le déclin de l’empire ottoman. Jamais les mots d’équilibre européen, d’intégrité du territoire, de souveraineté légitime, n’avaient été tant prononcés, et parfois appliqués avec une généralité si confuse. Lorsque vint à éclater l’insurrection grecque de 1820, avec celles de Naples et de Piémont, bien des gens scrupuleux ou craintifs alléguaient la légitimité du sultan, et l’empereur Alexandre lui-même affecta de renier tout intérêt pour les Grecs, de blâmer une cause où il apercevait, disait-il, le signe révolutionnaire. Ce langage, le puissant despote le répétait encore, et avec sincérité même, après que tant de prêtres grecs mis à mort, tant de femmes et d’enfans chrétiens égorgés ou vendus, et l’effroyable massacre de Chio, prolongé pendant deux mois, avaient marqué le gouvernement turc du signe sanglant de la barbarie.

Heureusement les autres nations de l’Europe ne raisonnèrent pas alors comme faisait l’ambitieux successeur de tant d’autres desseins de Catherine. On n’a point oublié le mouvement électrique, enthousiaste et sensé, chrétien et cosmopolite, qui en France, en Allemagne, en Angleterre, dans les États-Unis d’Amérique, intéressa tant de cœurs à la lutte héroïque des Grecs, provoqua tant de souscriptions, tant de réunions secourables, tant d’efforts individuels, et enfin un si noble effort public. On n’a point oublié la bataille de Navarin, cette journée de Lépante du XIXe siècle, où la France eut une part si glorieuse, où elle fit la tête de l’escadre anglaise,