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chez ces races du midi plus dominées par le sentiment religieux, et que l’entrée conquérante du mahométisme en Europe menaçait particulièrement depuis trois siècles.

L’Italie renaissait à la gloire des armes par cette immortelle journée de Lépante. Le généreux pontife encourageait lui-même alors ces imitations de l’ancienne Rome, dont Rienzi avait épouvanté deux siècles auparavant la chaire pontificale. Ces honneurs du triomphe, que les anciens césars avaient supprimés ou n’avaient gardés que pour eux, furent rétablis pour le chef de l’escadre romaine, Antoine Colonna. Le 16 décembre 1571, trois mois après la défaite des Turcs, il entrait dans Rome en appareil de triomphateur, précédé de riches dépouilles et suivi de captifs, parmi lesquels était le fils d’une sœur de Sélim. Il s’avançait ainsi, entre les rangs des soldats, au milieu des transports de joie du peuple, jusqu’au Capitule, et de là venait au Vatican recevoir l’embrassement du pape et les félicitations de toute l’église romaine. Le lendemain, une messe pontificale, célébrée au Capitole dans la chapelle Ara Cœli, consomma le caractère tout chrétien de ce nouveau triomphe, en même temps que des soins et des égards prodigués aux captifs qui en avaient orné la pompe marquaient la civilisation d’un monde meilleur.

À tous les honneurs dont il comblait Colonna, le pape voulait joindre des richesses, et il lui fit don de cinquante mille écus d’or ; mais le noble chevalier, avec une générosité digne des meilleurs temps de la république romaine, ne garda rien de cette largesse, et la fit distribuer en dots à des filles pauvres et en secours aux indigens.

Dans l’Espagne, une poésie enthousiaste et guerrière célébrait le triomphe de la croix et réclamait la délivrance de l’Orient chrétien. Ces sentimens, parés du plus beau langage, éclataient alors dans les vers, non pas d’un lauréat de cour, Philippe II n’en avait pas, mais d’un Espagnol de Séville, exprimant la joie religieuse et l’orgueil national de son pays.

Une première ode toutefois, à la gloire de don Juan d’Autriche, est trop savante de mythologie, trop imitée de Pindare, trop chargée du souvenir d’Encelade, de Mars et des muses. Ce n’étaient pas les Olympiques, c’était le chant du passage de la Mer-Rouge qui convenait à l’art du poète et devait l’inspirer. Nous le voyons bientôt, dans ce sujet tout chrétien, s’élever avec le prophète, et en imiter, sinon la brièveté rapide, du moins la grandeur :


« Chantons le Seigneur, qui, sur la face de la vaste mer, a vaincu le Thrace cruel. Toi, Dieu des batailles ! tu étais notre droite, notre salut et notre