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officiers, vis-à-vis desquels elle n’avait pas l’excuse, plausible et sacrée en Suède, d’être venue par sollicitude pour les jours d’un fiancé ; mais la comtesse, qui se tenait près de la porte, entendit que l’on réclamait son concours, et s’étant assurée, à l’audition des voix, qu’elle n’avait rien à craindre de la médisance des personnes présentes, elle ouvrit vivement et se montra. Elle avait à cœur de jurer et de signer, elle aussi, que le vol infâme imputé à Christian, dans les conseils et desseins du baron, avait été annoncé d’avance devant elle.

En la voyant, le major et le lieutenant ne purent retenir une exclamation de surprise ; mais M. Goefle, avec sa présence d’esprit accoutumée, se chargea de tout expliquer. — Mlle  Akerström, dit-il, n’eût pas pu venir seule. Elle n’avait personne pour l’accompagner, et vous lui aviez tellement recommandé le silence, qu’elle ne pouvait choisir d’autre escorte que le domestique de la comtesse Marguerite, initiée au même secret. Naturellement la comtesse Marguerite a voulu accompagner son amie, à laquelle Péterson eût peut-être fait quelques objections sur le mauvais temps… M. Goefle trouva encore de bonnes raisons pour démontrer combien le fait s’était naturellement accompli. Martina eût pu dire, avec sa simplicité primitive, que les choses ne s’étaient pas absolument passées comme les expliquait M. Goefle, et elle était si loin de soupçonner la prédilection de Marguerite pour Christian, qu’elle n’y eût même pas manqué, si elle n’eût été absorbée par le soin de servir le thé et même le gruau avec Nils, qui avait en outre découvert au gaard les mets destinés par Ulphilas absent au souper de son oncle et des hôtes du Stollborg. La lugubre salle de l’ourse offrait donc en ce moment une de ces scènes tranquilles que, par suite des nécessités de la nature et des éternels contrastes de la destinée, notre vie présente à chaque instant : tout à l’heure des angoisses, des luttes, des périls ; l’instant d’après, un intérieur, un repas, une causerie. Cependant M. Goefle et Martina furent les seuls qui s’assirent pour manger. Les autres ne firent qu’avaler debout et à la hâte, attendant avec impatience, ou de nouveaux événemens, ou un renfort qui leur permît de prendre de nouvelles résolutions.

Certes chacun des personnages d’une réunion si insolite avait un vif sujet d’inquiétude. Marguerite se demandait si, à la suite du changement nécessité dans le programme des plaisirs du château neuf par l’absence des burattini, sa tante ne se mettrait pas à sa recherche, et si Mlle  Potin elle-même ne partagerait pas son étonnement et sa frayeur en constatant l’absence de Martina, avec qui elle l’avait laissée. Martina se tourmentait moins des angoisses de sa famille. Positive en ses raisonnemens, elle se disait que le châ-