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adresses au gouverneur, signées de toutes les classes de la population, provoquèrent une vengeance qui entrait d’ailleurs pleinement dans les vues de ce fonctionnaire. La campagne commença au mois de mai : elle devait porter la guerre au voisinage du lac de Cayar, dans les déserts du nord, au cœur du pays des Trarzas. Le 11 mai, les troupes campaient aux bords du lac, qu’avaient jusqu’alors seulement entrevu quelques Européens. Sur ses bords se rassemblent les Maures pour y trouver de l’eau, quand l’approche du fleuve leur est interdite. Le séjour un peu prolongé de la colonne eût réduit les ennemis à la dernière extrémité par la soif ; mais faute d’assez de vivres pour y rester, elle dut rentrer à Saint-Louis après de brillans et victorieux engagemens. Un officier, le capitaine Guillet, succomba, foudroyé par une chaleur de 56 degrés. Sa tombe, honorée des adieux solennels de toute l’armée, repose solitairement sur la rive septentrionale du lac de Cayar, où elle marque une des étapes des colonnes françaises dans la conquête de l’Afrique.

Mohammed-el-Habib, supérieur à sa fortune par son énergie, releva fièrement les défis du gouverneur. Il lança de nouveau ses guerriers sur le Oualo, et avant que les troupes françaises fussent rentrées à Saint-Louis, cette province était de nouveau saccagée et incendiée. Ce fut un vrai désastre. Les noirs ne furent pas seuls à trembler : à Saint-Louis même, on ressentit une véritable panique. À la voix du gouverneur, qui rentra le lendemain de cette catastrophe, un parti de cavaliers se mit sur la piste des pillards, en atteignit quelques bandes, leur reprit du butin, leur tua du monde, et dans le nombre une dizaine de chefs.

Le mal était fait, la terreur produite ; les noirs s’étaient lâchement enfuis, et la conquête matérielle du Oualo était à recommencer presque autant que la conquête morale. Le fruit de deux années de politique persévérante était perdu. Il était démontré que des forces échelonnées le long du fleuve, depuis Saint-Louis jusqu’à Richard-Toll, sur un parcours d’une trentaine de lieues, devaient désormais protéger une race qui ne savait pas se protéger elle-même. La bravoure personnelle des noirs ne pouvait être niée, car ils en donnaient sans cesse, comme soldats et marins, de brillantes preuves dans nos rangs mêmes ; mais c’était toujours à la condition de s’appuyer sur les blancs. Il était démontré aussi qu’au Sénégal, pas plus qu’en Algérie, l’intimidation n’a de prise sur la race indomptable des Maures : là, comme ici, les moyens d’action et de domination doivent être proportionnés à la résistance.

La crue du fleuve vint bientôt suspendre cette guerre d’extermination et reporter la sollicitude du gouverneur vers le haut pays, ou se passaient des événemens très graves, quoique moins désastreux.