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si l’on peut donner le titre de capitale à un grand village. Devançant nos armes, les traitans de Saint-Louis y avaient à cette époque établi de simples comptoirs, sous la protection du roi de Khasso, le chef indigène, notre allié Sambala.

El-Hadj-Omar marcha sur cette place en 1855, enleva toutes les marchandises des comptoirs, français, traversa le fleuve à la tête de ses bandes, et s’empara de divers villages du Khasso. Dès ce jour, sa confiance redoublant, il démasqua tous ses plans dans une lettre adressée aux traitans de Bakel. Leur rappelant que Médine est un lieu de passage et de station pour les caravanes de l’intérieur, il faisait valoir tout le prix de son amitié, ajoutant, suivant l’usage de tous les prophètes de l’islam, qu’il n’attaquait que les ennemis de Dieu, et qu’il agissait, non à titre d’enfant du Fouta qui réclame l’héritage paternel, mais à titre de vicaire et de serviteur de Mahomet. Quelques traitans musulmans furent peut-être ébranlés ; mais, sous la surveillance de notre fort, ils s’abstinrent de toute manifestation.

Dans tout le haut du fleuve, on s’attendait à une irruption prochaine des bandes victorieuses d’Omar ; il n’en fut rien. Désespéra-t-il de nous vaincre, et son ambition, changeant d’objet, aspira-t-elle dès lors à créer sur les rives du Niger un état dont il serait le souverain, une dynastie dont il serait le fondateur, suivant la coutume des personnages qui, dans ces pays anarchiques, parviennent à une haute puissance ? On l’a supposé, non sans vraisemblance, car cette supposition explique toute sa conduite. Au lieu de se retourner, avec des forces exaltées par de nombreux succès, sur le Bondou et le Fouta, états amis qui lui envoyaient ses meilleures recrues, il continua sa marche victorieuse au-delà du Khasso, jusqu’au cœur de l’état de Khaarta, peuplé par les Bambaras, qui occupent les rives du Haut-Niger, et se montrent aussi réfractaires à l’islamisme que les Mandingues du Bambouk. En vain les Bambaras appelèrent à leur secours leurs frères de Ségou ; Al-Agui triompha de toutes les résistances, et la fin de l’année 1855 le vit installé à Nioro, capitale du Khaarta, rasant en personne la tête du roi et des principaux chefs en signe d’acceptation du Koran, réclamant la moitié de leurs trésors et de leurs captifs, les forçant à renvoyer toute femme au-delà des quatre permises par Mahomet. À Nioro, comme au sein d’une capitale conquise, il se consolida, réorganisant l’administration, prêchant l’islamisme, portant tour à tour ses regards à l’orient, sur le bassin du Niger, où sa dynastie pourrait régner un jour, et à l’occident, sur le bassin du Sénégal, d’où il chasserait les chrétiens quand il plairait à Dieu.

Les graves événemens qui venaient de s’accomplir dans l’horizon