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C’était déjà sans doute quelque chose d’étrange que Lesueur, en 1640, se frayant une voie solitaire, une voie d’expression, de sentiment et de simplicité au travers des pompes théâtrales que préparaient ses compagnons d’école ; mais entre le peintre des chartreux et la peinture de son époque, la dissonance était-elle aussi grande qu’entre les derniers tableaux de Scheffer et ceux qu’on nous fait aujourd’hui ? En vérité nous ne le croyons pas. Pour trouver un pareil contraste entre un homme et son temps, il faudrait reculer de deux siècles encore, aller jusqu’à Florence, dans une des cellules du couvent de San Marco ; là nous verrions un artiste céleste opposer aux progrès d’un réalisme envahissant la plus paisible obstination et continuer jusqu’à son dernier jour de faire parler à son pinceau le langage des anges.

Lesueur, Angelico ! ce n’est pas sans raison que ces deux noms nous viennent à la pensée. Sans aucune trace d’imitation, sans l’ombre d’analogies qui se puissent indiquer, n’est-il pas vrai pourtant que Scheffer se rattache par certains liens secrets à ces deux grands représentans de la chaste peinture, de l’idéal chrétien ? n’y a-t-il pas dans ses veines quelques gouttes de leur noble sang ? Lorsqu’il a quitté cette terre, ils ont dû lui tendre la main. Ils l’auront remercié d’avoir eu le courage de s’élever par sa propre force aux divines clartés, d’avoir, dans un tel temps, maintenu leur drapeau et vaillamment soutenu leur cause, cette cause du spiritualisme dans l’art qui trouvera sans doute d’éternels adversaires, mais qui saura toujours en triompher.


L. VITET.