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les douleurs et les espérances d’une âme aimante et chrétienne. Nous citerions d’autres exemples d’efforts et de succès non moins heureux ; mais pour Scheffer l’art du portrait ne fut le plus souvent qu’une occasion d’étude et d’exercice, un moyen expéditif d’enrichir sa mémoire, de faire provision d’expressions, ou bien encore un mémento, un instrument qui enregistrait en quelque sorte ses amitiés, ses relations, et lui en perpétuait le souvenir. C’est ainsi que s’était formée et peu à peu suspendue à ces parois la longue suite de ces portraits. Le pieux respect d’une fille qui a vécu en leur compagnie ne manquera pas de les y maintenir, aussi bien que tant de toiles inachevées et tant d’autres reliques du talent de son illustre père. Ces portraits, à vrai dire, sont une galerie, un répertoire biographique d’un prix inestimable pour ceux qui dans l’avenir voudraient tracer la vie de notre artiste, car ils y trouveraient, jour par jour, le souvenir vivant et comme l’écho visible de ses idées et de ses espérances, de ses affections, presque de ses entretiens.


Pour nous, qui nous contentons de parler de ses œuvres, mais qui du moins aurions voulu en donner une complète idée, nous sommes loin de notre but. Nous avons dû laisser dans l’ombre bien des tableaux, et des meilleurs, les uns faute de les connaître, d’autres pour abréger, parce qu’ils semblaient faire double emploi. Nous n’avons rien dit non plus de ses essais de sculpture, essais heureux pourtant, et d’une distinction rare. Il n’est pas jusqu’au talent d’écrire que nous pouvions trouver en lui en cherchant bien, en remontant jusqu’à certaines pages de la Revue française. Faut-il remplir toutes ces lacunes ? Quand nous établirions par preuves plus nombreuses qu’il était apte à tout, que sa riche nature aurait en toute chose également triomphé, qu’ajouterions-nous à sa gloire ? C’est comme peintre qu’il doit survivre, c’est sur le peintre qu’il fallait insister. Ce que nous souhaitons seulement, c’est d’en avoir dit assez pour le bien faire comprendre, et pour communiquer à nos lecteurs nos impressions, notre sentiment sur son compte ; car ce n’est pas un de ces hommes qu’on peut juger en quelques mots, avec des formules toutes faites. Lorsqu’on l’a suivi pas à pas dans ses transformations, lorsqu’on l’a vu sous toutes ses faces, à chaque degré du voyage, et qu’on a bien mesuré l’espace de sa longue ascension, c’est alors seulement, qu’on commence à le connaître, à se faire une idée vraie de son originalité, à sentir quels sont ses droits non-seulement à une première place, mais, comme nous le disions en commençant, à une place à part. Cette originalité s’accroît, pour ainsi dire, quand on regarde autour de lui. À qui ressemble-t-il ? Un isolement pareil s’est-il donc rencontré souvent ?