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ger. J’y songe, à présent que vous êtes ici. Mon Dieu ! pourquoi êtes-vous venue ?

Et le jeune homme, en proie à des sentimens contraires, était à la fois bien heureux qu’elle fût venue et bien tourmenté de la voir exposée à quelque scène fâcheuse. D’ailleurs la présence de ces deux jeunes filles au Stollborg n’était-elle pas faite pour aggraver la situation sous un autre rapport ? Ne pouvait-elle pas précisément servir de prétexte à une invasion déclarée ? La comtesse d’Elvéda, toute mauvaise gardienne qu’elle était de sa nièce, pouvait bien s’apercevoir ou s’être déjà aperçue de son absence, la faire chercher, ou l’avoir fait suivre. Que savait-on ? — Ce qu’il y a de certain, se disait Christian, c’est qu’il ne faut pas qu’elle soit vue ici.

Il pensa bien à la conduire avec sa compagne au gaard de Stenson, où personne n’aurait sans doute l’idée de la chercher ; mais la demeure de Stenson servait peut-être, en ce moment, de poste d’observation à l’ennemi… Au milieu de toutes ces perplexités, Christian, qui ne répondait qu’avec distraction aux interpellations agitées de M. Goefle, prit une résolution dont il ne fit part à personne. Ce fut de sortir de l’appartement et d’aller, soit dans les cours du vieux château, soit sur le lac, affronter des périls dont, en somme, il était l’unique point de mire. Dans ce dessein, il se munit d’une lumière afin de se faire voir autant que possible dans le brouillard, et sortit sans rien dire, espérant que M. Goefle ne ferait pas attention tout de suite à son absence ; mais avant qu’il eût franchi la porte principale de la chambre de l’ourse, Marguerite se leva en s’écriant : — Où allez-vous donc ?

— Où allez-vous, Christian ? s’écria aussi M. Goefle en s’élançant vers lui ; ne sortez pas seul !

— Je ne sors pas, répondit Christian en se glissant rapidement dehors, je vais voir si la seconde porte, celle qui ouvre par ici, sur le préau, est fermée.

— Que fait-il ? dit Marguerite à M. Goefle ; vous ne craignez pas…

— Non, non, répondit l’avocat, il m’a promis d’être prudent.

— Mais je l’entends qui tire les verroux de la seconde porte ; il les ouvre !

— Il les ouvre ? ah ! nos amis arrivent !

— Non, non, je vous jure qu’il s’en va !

Et Marguerite fit le mouvement involontaire de suivre Christian. M. Goefle l’arrêta, et, faisant signe à Péterson de ne pas quitter les femmes, il voulut s’élancer sur les traces de Christian. Déjà celui-ci avait fermé la porte en dehors pour l’empêcher de le suivre, et il courait vers la porte extérieure du préau, appelant Larrson à haute voix, et se tenant prêt à se défendre, s’il réussissait à attirer à lui les assassins, lorsqu’une balle dirigée sur lui vint faire sauter de sa main