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n’être pas plus bref dans l’histoire de sa vie, car il n’était ni moins actif, ni moins ingénieux à se perfectionner dans l’art de l’obligeance, de l’amitié, du dévouement, pas moins ardent à l’exercice des plus nobles vertus qu’à poursuivre les secrets du modelé et de la couleur. Sa nature était partout la même, partout même foyer, même âme, même énergie de volonté, même progrès continu. Et que serait-ce si nous voulions tracer une complète image de son esprit, en peindre les saillies, si promptes à se faire jour à travers les saccades d’un certain accent étranger, la seule chose peut-être qu’il y eût en lui de vraiment hollandais ? Nous en avons bien souvenir, nous croyons les entendre encore ; mais pour les faire entendre aux autres, pour les rendre vivantes maintenant qu’il n’est plus, il faudrait posséder un don bien rare, même chez les artistes, et qui, à personne peut-être, ne fut prodigué comme à lui, le don de peindre de mémoire. Certains objets, surtout certains visages, une fois contemplés, restaient en lui comme en dépôt, et toujours il pouvait, même à longs intervalles, malgré l’absence et malgré la mort même, en retrouver l’exacte ressemblance. Que de fois, aidé par son cœur, n’a-t-il pas fait de tels miracles ! A combien d’amis désolés n’a-t-il pas ménagé cette douce surprise de voir ainsi revivre, contre toute espérance, une image chérie ! Presque à la veille de sa mort, n’était-ce pas encore cette mémoire fidèle et ce cœur chaleureux qui guidaient son pinceau pour la dernière fois ? Nous tenterions en vain un si heureux effort. Comment le faire revivre en quelques froides lignes ? Il faudrait pour un tel portrait Scheffer lui-même, sa touche transparente et sa sûreté de souvenir. Lui seul saisirait comme au vol les contrastes de son caractère comme les mobilités de sa physionomie, tant de nuances, tant d’imprévu, cet insaisissable mélange d’ironie presque mordante et de bonté presque naïve, cette franchise sans pitié pour certains amours-propres, ces ménagemens délicats, presque tendres pour certains autres. Nous n’en finirions pas si nous voulions tout dire, et quand tout serait dit, nous n’aurions satisfait ni ceux qui l’ont connu, ni surtout ceux qui l’ont aimé.

Pour suivre Scheffer en dehors de son art, il est d’ailleurs d’autres difficultés. La bienfaisance a ses mystères : irions-nous divulguer tout le bien qu’il faisait, mettre au jour ce qu’il tenait caché, lui faire un mérite public de cette bourse toujours secrètement ouverte, non-seulement aux pauvres, au talent malheureux, à l’artiste sans pain, mais à tant d’autres ? A qui refusait-il ? S’informait-il pour panser une plaie si le blessé était de ses amis, si même il aimait ses tableaux ? On pouvait le trouver incolore et puiser dans sa bourse, y prendre des couleurs, des pinceaux, des modèles, quelquefois même un atelier. Dire tout cela, le dire avec détail, comme