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et le voilà fidèle encore ! A quoi bon s’écrier : Ce n’est pourtant pas de la peinture ! C’est bien mieux, puisque l’extase de cette sainte femme se communique en quelque sorte à ceux qui la contemplent, puisque vous vous sentez comme entraînés par elle, comme emportés avec son fils vers ces régions éthérées où s’élève son âme, puisque vous, assistez, par reflet dans ses yeux, au spectacle sublime dont elle est enivrée. L’élan de la vie céleste, l’élan de la béatitude, la vision du surnaturel rendue sensible et fixée sur la toile, voilà le mot de ce succès. Ajoutez aux joies du ciel certains sentimens de la terre que Scheffer excelle à faire comprendre, le bonheur, la reconnaissance de cette mère qui tient son fils contre son cœur, et qui sent qu’il s’émeut, se détache, s’ébranle, commence à quitter terre, et va la suivre dans son vol ; puis, chez le fils, la foi naissante et déjà ferme, tant de respect et tant d’étonnement, tant d’ardeur soumise et domptée, toutes les confessions en un mot résumées en trois coups de pinceau ! Trouvez beaucoup de peintres qui vous en disent autant, qui vous révèlent de tels mystères, cherchez dans le présent, cherchez même dans le passé, et dites-nous si devant de telles œuvres l’admiration se marchande ! En faveur de ce qui s’y trouve, n’oublie-t-on pas ce qui peut y manquer ?

Quant à Scheffer, il ne l’oubliait point. Toujours en garde contre lui-même, l’œil ouvert sur ses défauts, il allait et venait, comme un vigilant capitaine dans une place assiégée. C’est une curieuse étude que celle de cet esprit, plein de fougue, jamais emporté, et corrigeant l’excès de son activité par des réactions continuelles. La Sainte Monique touchait à l’extrême limite de la transparence en peinture ; dès l’année suivante, dans les Saintes Femmes revenant du tombeau, voilà le faire le plus solide et le plus consistant : carnations, draperies, tout est fermement peint dans ce tableau. Aussi le connaît-on mal quand on n’en voit que la gravure. Le pinceau va ici plus loin que le burin. Est-ce le soin de cette exécution plus précise qui refroidit un peu la touche ? est-ce la nature du sujet qui se refuse à plus d’animation ? Nous ne pourrions le dire ; mais cette composition, en quelque sorte irréprochable, produit sur nous un effet tempéré. À cette gravité silencieuse, à la pieuse tristesse de ces trois femmes si saintement exprimée, le peintre, moins occupé de l’extérieur, plus à son aise, se laissant plus aller, aurait ajouté, ce nous semble, une plus grande variété de nuances et cette onction pénétrante qu’il sait produire si admirablement.

Avec beaucoup d’analogie de style et d’exécution, on trouvera plus de feu intérieur et une action plus vivement sentie dans cette Ruth disant à Noémi : « Ne me prie pas de te quitter ; où tu iras, j’irai ; ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu. » La