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ajoutant chaque fois plus de vigueur et d’autorité, avec les élucubrations du conseil-général prohibitionniste et protectionniste du département du Nord, dont l’oracle est l’honorable M. Mimerel. La prohibition a trouvé là aussi un infatigable et courageux champion, qui ne se lasse point de répéter, dans un style assorti aux préjugés qui l’inspirent, les erreurs les plus décriées et les argumens les plus étranges. On peut dire que la discussion est épuisée sur la question de la liberté du commerce, et nous aimons le procédé de M. Michel Chevalier, qui se borne à asséner sur les intérêts particuliers coalisés contre l’intérêt général les vérités axiomatiques fournies par la science économique et par l’expérience commerciale. Le point important désormais, l’intérêt pratique de cette question, est de fixer le mode d’application suivant lequel il faudra réaliser progressivement la grande réforme économique.

S’il nous était permis d’effleurer en passant un pareil sujet, nous indiquerions le seul système qui nous paraisse, dans cette œuvre immense, devoir concilier l’intérêt général de la richesse publique avec les intérêts particuliers des industries protégées, que personne n’a jamais voulu, quoi qu’en disent les protectionnistes, sacrifier violemment au triomphe idéal d’un principe. L’intérêt qui domine et qui doit résoudre en définitive le débat est celui-ci : dans l’établissement de ses industries, un pays, comme un individu, doit tenir compte avant tout des applications les plus utiles, les plus rémunératrices de son capital et de son travail. Il s’ensuit qu’il doit élaguer les industries qui, l’obligeant à payer leurs produits plus cher que les produits similaires fournis par le marché général du monde, lui coûtent annuellement une consommation improductive et une destruction gratuite de capital, et par conséquent l’appauvrissent réellement, car elles ralentissent le mouvement naturel de la richesse générale. Tout état bien ordonné économiquement doit partir de ce principe, ou s’y conformer progressivement, en liquidant ces industries parasites qui condamnent son capital et sa main-d’œuvre à de ruineuses déperditions. Comment opérer cette liquidation dans un pays où certaines industries qui absorbent de grands capitaux et occupent beaucoup d’ouvriers protestent qu’elles ne sont point en état de soutenir la concurrence étrangère ? Évidemment ce n’est que par une série de mesures combinées de manière à rendre la transition aussi légère et inoffensive que possible. Il conviendrait avant tout que l’opinion publique, éclairée enfin, retirât à ces industries cette qualification de nationales sous laquelle elles se couvrent, et osent dicter des lois à la faveur du plus audacieux contre-sens qu’on ait jamais introduit dans le langage politique. Ces industries en effet, au lieu d’être nationales, sont antinationales, puisqu’elles imposent à la nation en masse une énorme perte annuelle ; au lieu d’être arrogantes dans leurs prétentions, c’est l’humilité qui leur convient, car elles consentent à vivre d’une aumône forcée que leur paie la majorité de la nation. Les positions ainsi déterminées entre les industries protégées et celles qui n’ont pas besoin de l’être, il importe, dans le traitement des industries protégées, de faire une autre distinction. Dans chaque branche d’industrie protégée, toutes les entreprises ne présentent point les mêmes chances de succès. Telle usine, telle fabrique pourvue des outillages les