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que dans cinquante ans seront les générations anglo-saxonnes des colonies océaniques. Il représente la volonté appliquée à l’œuvre de la régénération morale et sociale ; il est la forme dans laquelle s’incarne ce principe d’expansion qui atteste la persistante vitalité britannique, et dont le mode est l’émigration. Ce vagabond, ce malfaiteur de la mère-patrie, dans lequel il y a l’étoffe d’un honnête homme, d’un homme d’ordre, d’un bon citoyen aux colonies, prouve la vigueur non diminuée par le temps, la jeunesse durable de la race saxonne, et la possibilité que lui offrent ses mœurs, ses institutions et ses lointaines possessions territoriales d’ouvrir un monde nouveau aux énergies, aux besoins, aux aspirations de nations nouvelles.

On est ainsi amené à la conclusion naturelle du livre de M. Reade : c’est que l’expansion est la loi de la race anglo-saxonne. Le jour où elle cessera de tendre vers le dehors, son principe vital ne l’animera plus, sa fin pourra être prédite. La plus conservatrice, ou, si l’on aime mieux, la plus féodale même de ses institutions se lie si indissolublement à son esprit d’aventure, que si demain se trouvaient supprimées les colonies et l’Inde, on pourrait calculer, à quelques années près, ce qu’il faudrait de temps pour rendre impossible la chambre des lords. Faites qu’un monde nouveau ne sollicite plus les énergies et le trop-plein de vitalité des trois quarts de la race, de tous les cadets de famille par exemple, et la loi de primogéniture en sera le prix; détruisez la loi de primogéniture, et non-seulement l’aristocratie anglaise s’éteindra, mais le mariage d’inclination ne sera plus la base de la société, la sève ne circulera plus librement comme à cette heure à travers toutes les veines du corps national, et ses généreux élans entravés, sa jeunesse flétrie, la vigueur de, la race même serait atteinte. Tout est important quand il s’agit d’un peuple dont le souverain compte trois cents millions de sujets, dont tout annonce que la véritable impulsion au dehors commence à peine. « L’Anglais, dit Emerson, n’a jusqu’ici montré que la moitié de sa force. Ces Bretons sont capables de tout, et si un jour la guerre de races (tant annoncée, et qui deviendrait une guerre d’idées, une lutte entre la liberté et le despotisme), si un jour cette guerre éclatait et menaçait la civilisation anglaise, ces rois de la mer s’embarqueraient encore une fois sur leurs forteresses flottantes, et trouveraient une nouvelle patrie et un second millenium de puissance dans leurs colonies. » C’est un digne fils de la Grande-Bretagne qui parle ainsi : reconnaître et expliquer si bien l’énergie de la race anglaise, lorsqu’on est soi-même citoyen américain, c’est montrer une véritable élévation d’esprit, c’est appartenir encore à la race dont il semble qu’on est séparé.