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entre les conditions d’existence de l’individu et celles du milieu dans lequel il se meut. Il n’est nullement question chez Tom de perversité proprement dite. Chez lui, le sens appréciateur ne fait aucunement défaut, mais les notions à apprécier lui ont été présentées d’une singulière façon. On ne l’a pas élevé du tout. Il a traversé les années sans autre guide que ses instincts. Il est essentiellement un homme d’action, un de ces « hommes de proie » que dépeint Emerson, et qui demandent volontiers leur vie aux prices de chaque jour. Mettez à ces gens-là la date de 1066, vous aurez les aventuriers qui avec Guillaume allèrent à Hastings, et après les travaux de la conquête jetèrent les assises de la société anglaise; mais faites agir de pareils déprédateurs en 1858, et vous arrivez immédiatement à ce qui ne peut coexister avec la société actuelle, à ce qui est nécessairement hors la loi. Maintenant modifiez les conditions extérieures, mettez l’espace devant des natures que trop de barrières seules gênent, et qui franchissent les lois bien plutôt par besoin d’expansion que par brutalité, stupidité, cruauté, ou quelque autre perversion que ce soit de cœur ou d’esprit. À ces natures-là (et la race saxonne en fournit par milliers) ouvrez, je le répète, l’espace; faites que les capacités du sol dépassent au centuple les capacités du laboureur, et vous verrez l’homme se transformer, se mettre en équilibre avec ce qui l’entoure, et atteindre à son développement normal et complet. Ce sera l’homme d’il y a mille ans revenu à son point de départ, mais ne trouvant plus son milieu social en désaccord avec son énergie, et pouvant à la fois, comme à son origine, s’associer directement à la nature et lutter avec elle. « Tom Robinson, dit M. Reade, était doué d’une intelligence rare; il possédait ce courage et cette force qui se manifestent au dehors et par une constante série d’actes : il manquait au contraire de la dure et patiente fortitude qui agit peu, concentre au dedans toutes ses sensations et supporte beaucoup. »

À ce caractère actif et impatient avait manqué l’éducation, qui prévient et empêche les fautes, et le genre de punition qui les suit était précisément le contraire de ce qui, dans un cas pareil, pouvait amener une amélioration sérieuse. Ceci, M. Eden le comprend. Il s’attache à Tom, fait travailler son intelligence, le persuade de la sincérité, de la sympathie qu’il lui témoigne, lui montre la possibilité de racheter tout son passé, de se créer une position supportable par l’honnêteté et le travail, et l’envoie, homme régénéré, dans le monde nouveau des colonies.

Tom Robinson, qui est le moins absolument anglais des héros du livre de M. Reade, n’en est pas le moins intéressant, car il est le trait d’union entre l’ancienne et la nouvelle Angleterre. Il est ce