Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vos gros niais de laboureurs dire que le squire était le meilleur des hommes, attendu que ledit squire lui donnait souvent, à lui, une journée de travail ! Or moi, j’estime que c’est bien au contraire cet imbécile de piocheur qui donne ses journées de travail au gentilhomme, car pour celui-ci cette même journée vaut et rapporte cinq shillings, et il la paie un shilling au laboureur!

« William se gratta la tête. Il comprenait à moitié, mais c’était une idée bien nouvelle pour lui.

« — Ah ! je vous le conseille, dit notre républicain en herbe, tâchez un peu de vous nicher cela dans la tête ! Et puis, quant à vous, George, ajouta-t-il en se tournant vers le frère aîné, venez-vous-en bien vite là-bas, où toutes les chances sont pour l’homme qui sait travailler. L’Angleterre est le premier pays du monde, si par bonheur vous avez épousé la fille d’un duc, et que de votre côté vous ayez cinquante mille livres sterling de rente et trois châteaux ; comme cela, d’accord, c’est parfait ! Mais ce pays-ci est tout simplement le fond de la Mer-Morte elle-même à celui qui n’a pas le sou! Ainsi, voyons un peu, George, plantez-moi là vos vilains arpens de terre, dont vous ne retirerez jamais rien; ramassez comme vous le pourrez cinq cents guinées, emportons avec nous une cargaison de peajackets et des sacs pleins de pièces de quatre sous, quelques outils, du courage, de la santé, de bons bras, et, je vous en réponds, nous remplirons bien lestement nos poches de l’autre côté de l’Atlantique.

« — J’aime mieux du pain sec en Angleterre que de la bosse de bison en Californie! fut la réponse. Puis je ne saurais vivre avec tout ce monde étrange qui va là-bas. »


Ici, remarquons-le, le mode d’expansion n’est plus identique. Ce qui attire Robinson hors de son pays, c’est le besoin de l’activité quand même; ce qui attire George Fielding, c’est l’amour. Frank Winchester lui dit : « On ne va pas en Australie pour y mourir, on y va pour gagner de quoi revenir épouser la femme qu’on aime. » Ce langage, George le comprend, et il part avec Frank Winchester, qui fait la même chose que lui ; mais Robinson, — qui prêche la supériorité du monde nouveau sur l’ancien simplement parce qu’à l’inverse de ce qui se pratique dans le premier, c’est dans le dernier l’homme qui règne et l’argent qui se soumet à la valeur et à l’énergie humaines, loin de les primer tous les deux, — Robinson lui parle un langage que le fermier du Berkshire ne comprend pas. Fielding, Frank Eden, Susan, Frank Winchester, tous ceux-ci sont de vrais Anglais, tels qu’on a pu les connaître jusqu’à présent; Robinson, lui, est autre chose : c’est l’Anglais tel qu’il devient peu à peu, tel qu’il deviendra tous les jours davantage; c’est, je le répète, the possible American. «Il y aura tous les jours plus de ces hommes-là, » dit quelque part M. Reade.

Ce qu’ont pu être les erreurs de la vie passée de Tom, l’auteur ne l’indique pas d’une manière précise, mais il nous laisse volontiers supposer qu’elles sont le résultat d’un certain manque d’harmonie