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puissent intenter un procès au gouverneur. A d’aussi pratiques menaces, Hawes ne sait trop que répondre, et il sent qu’il lui faudra ne négliger aucun moyen de défense. Mais n’admirez-vous pas cet Anglais qui se passionne ainsi, et qui donne son temps, son énergie et sa bourse pour qu’un principe qu’il regarde comme sacré ne soit pas violé? « Qu’est cet homme-là pour Hécube, et qu’est Hécube pour lui pour qu’il s’émeuve de la sorte? » dit Hamlet; mais pour l’Anglais la loi, c’est lui-même, et la subsistante impunité d’une illégalité est une offense à lui-même à travers sa nation, — c’est la possibilité de maux qu’il est résolu à ne jamais supporter. L’Anglais sait si bien qu’il est gouverné dans son intérêt, et que la plus haute et la plus grande de ses institutions politiques, si grande et si haute qu’elle soit, est faite pour protéger le plus chétif, le dernier des sujets de la couronne qui l’invoquera, qu’il en use familièrement avec ceux-là qui, chez les peuples du continent, paraissent les plus formidables pouvoirs. Un ministre! qu’est-ce aux yeux d’un Anglais, sinon le premier serviteur de l’état, c’est-à-dire des individus dont la réunion constitue le corps politique? La reine elle-même, si respectée qu’elle soit, si éloignée dans la pensée de ses peuples fidèles de la sphère des mortels ordinaires, n’est en somme, et dans les cas extrêmes, que le dernier refuge de tout plaignant, que la suprême justicière et que l’incarnation du droit. Elle est regardée comme injustitiœ incapax. Et « l’appel à la nation, » que veut dire cela pour qui n’est ni membre de la chambre des communes, ni placé d’aucune façon à ce qu’une tribune s’ouvre devant lui, et lui offre une facilité naturelle de communiquer avec le public? Quel est pour ce qu’on nomme le premier venu le sens de ces mots : « en appeler à la nation? » Et comment un homme isolé, sans illustration et sans fortune par exemple, pourrait-il se flatter d’associer tout le pays à sa cause? Le moyen en est simple, et n’est pas ce qu’il y a de moins remarquable dans les mœurs anglaises. Quiconque a quelque chose à dire à la nation anglaise peut le lui dire, et si pauvre, si faible, si obscur qu’il puisse être, la nation entière prêtera l’oreille à son discours, si ce qu’il a à dire en vaut la peine. Seulement l’Angleterre est toujours pressée; elle donne son argent volontiers, elle ne donne son temps qu’à bon escient, car donner son temps, c’est donner implicitement sa volonté de vous venir en aide par ses actes, et si vous parvenez à lui prouver qu’elle vous doit réellement son appui, elle ne vous le marchandera certainement pas.

« En appeler à la nation, » cela signifie écrire au Times. Le Times est le signe visible de la solidarité de l’individu anglais et de la nation anglaise : c’est là sa première et sa plus évidente importance; c’est ce que sait aussi M. Eden quand il entame sa lutte avec M. Hawes.