Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dotent pas d’incalculables richesses les générations qui procéderont de lui, et si les races dont les mœurs encouragent un pareil développement d’activité mis au service d’un désintéressement pareil ne tendent pas davantage chaque jour à ce qu’on puisse dire d’elles que « rien ne leur est impossible[1]? » N’oublions pas ici ce mot d’Emerson : « le motif, le but de tout ce qu’entreprennent les Anglais au dehors n’est au fond que la plus absolue sécurité de leur indépendance chez eux. Leur apparente expansion universelle n’est par le fait qu’une façon de se rendre plus possible leur réelle concentration sur leur home. »

Le premier héros du livre de M. Reade, George Fielding, apparaît donc comme le type de cette très grande majorité de la jeunesse anglo-saxonne de toutes les classes, qui voit dans l’union avec la femme aimée le but de la vie, qui ne marchande aucun effort, aucun sacrifice pour atteindre ce but, et qui regarderait au contraire la subordination d’un sentiment à un simple intérêt comme une sorte d’avilissement. Dans Frank Eden, le second héros du récit, nous avons la personnification de la volonté mise au service de la justice et du droit, de cette espèce de volonté générale et indigène qui est comme l’atmosphère naturelle du peuple anglais, qui est en lui et autour de lui, qu’il respire et qu’il exhale, et qui seule lui vaut sa domination sur des empires immenses. C’est à cette volonté que l’Angleterre doit tout, et il n’est point d’Anglais ni d’Anglaise qui en soient dépourvus. « La race saxonne est une force, » a dit un écrivain que nous venons de citer, et il faudrait ajouter qu’elle l’est surtout parce qu’elle veut l’être.

« La douceur qui a progressivement agi sur les mœurs depuis les temps barbares, dit Emerson avec une justesse extrême, n’a pas entièrement réussi à effacer chez l’Anglais sa descendance d’Odin. Le peuple garde quelque chose de dur, de résolu, d’animal, qui gît au fond de sa nature, comme les physiologistes prétendent que la structure rudimentaire du tigre se retrouve transformée chez le Caucasien... L’Anglais a plus d’énergie physique que tout autre homme créé. Ces fils d’Albion estiment, avec Henri IV, que les exercices du corps sont l’origine de la vigueur morale, et par conséquent de cette supériorité d’esprit qui fait qu’un être en domine un autre. » Ce caractère se retrouve dans M. Eden, dans ce chapelain de prison dont la vie entière est une œuvre de mansuétude, et dont la charité et la sainteté ne seraient point déplacées à côté de ce que les annales des missions catholiques renferment de plus admirable.

  1. Voyez à ce propos, dans la Revue du 15 février 1858, l’étude de M. Esquiros sur l’Angleterre et la Vie anglaise, et les pages vraiment éloquentes où, en parlant du lancement du Leviathan, il se plait à énumérer, parmi les « qualités du génie anglo-saxon, l’énergie, la persévérance, le courage indomptable contre les choses. »