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— Inconnu ! dit Christian.

— Manassé ! s’écria M. Goefle, celui que Guido a nommé hier, le petit Juif qui prenait à vous un intérêt inexplicable ?

— Il ne s’appelait pas ainsi, reprit Christian.

— C’est le même, j’en suis certain, dit M. Goefle. Il s’appelait Taddeo Manassé. Stenson me l’a dit aujourd’hui. C’est la première fois que, dans cette correspondance, il a signé en entier un de ses noms, et c’est peut-être la dernière fois que le pauvre malheureux a trempé une plume dans l’encre, car il est mort, au dire de Massarelli, et je mettrais ma main au feu que Massarelli l’a assassiné… Attendez ! ne dites rien, Christian ! En annonçant cette mort à Stenson, Massarelli se disait en possession d’une preuve terrible qu’il voulait lui vendre, et qu’il menaçait de porter au baron ; nul doute que… Se laissait-il aller à boire, ce pauvre Juif ?

— Non pas, que je sache.

— Eh bien ! Guido l’aura assassiné pour lui prendre le peu d’argent qu’il pouvait avoir, et aura trouvé sur lui quelque lettre de Stenson, dont la signature et la date l’auront amené ici tout droit pour exploiter l’aventure. D’ailleurs ce Massarelli aura pu verser au Juif quelque narcotique lorsqu’il a dîné avec lui à l’auberge… Non, pourtant, puisque Manassé a écrit depuis… Mais le soir ou le lendemain…

— Qu’importe, hélas ! monsieur Goefle. Il est bien certain que Massarelli a tout découvert et tout révélé au baron ; mais, moi, je ne découvre encore rien sur mon compte, sinon que M. Stenson s’intéressait à moi, que Manassé ou Taddeo était son confident, et lui a donné assidûment de mes nouvelles, enfin que mon existence est fort désagréable au baron Olaüs. Qui suis-je donc, au nom du ciel ? Ne me faites pas languir davantage, monsieur Goefle !

— Ah ! patience, patience, mon enfant, répondit l’avocat, tout en cherchant une cachette pour les précieuses lettres. Je ne puis vous le dire encore. J’ai une certitude depuis vingt-quatre heures, une certitude d’instinct, de raisonnement ; mais il me faut des preuves, et celles-ci ne suffisent pas. Il faut que j’en acquière… Où ? comment ? Laissez-moi réfléchir… si je peux ! car il y a ici de quoi perdre la tête… Des papiers à cacher, Stenson en danger… Nous aussi peut-être ! Pourtant… Ah ! oui, tenez, Christian, je voudrais bien être sûr que c’est à vous que l’on en veut, car alors je saurais bien positivement qui vous êtes.

— Il est facile de s’assurer des intentions que vous supposez au baron. Je vais sortir, comme si de rien n’était, pour ma représentation, et si l’on m’attaque, comme aujourd’hui je suis bien armé, je tâcherai de confesser mes adversaires.

— Je crois en effet, dit M. Goefle, qui avait enfin réussi à cacher les