Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a une importance qu’on aurait tort de dédaigner, mais elle ne saurait être que transitoire. Pour devenir le complément normal de l’émancipation, elle doit être complétée elle-même par l’attribution individuelle du sol et par la faculté de rachat ouverte au paysan. Des institutions de crédit fortement organisées pourraient faciliter le paiement du prix, en avançant contre une hypothèque valable une portion des sommes nécessaires ; le surplus serait le fruit du travail et de l’épargne du cultivateur. De cette manière seulement on arrivera à constituer sur une base solide la petite propriété. Cependant un pareil contrat de bail ne saurait, au-delà de la période transitoire, être imposé au cultivateur, qui doit demeurer libre d’y renoncer et de porter ses bras ailleurs. Il est de l’intérêt de la noblesse, seule propriétaire aujourd’hui, de se montrer très large, très accommodante dans la fixation du montant des redevances, et de faciliter au cultivateur les moyens d’acquisition. Du moment où celui-ci saura qu’il s’assure la possession permanente du lopin de terre qu’il cultive et qu’il pourra en user et en disposer à volonté, il sera facile de lui faire comprendre et accepter des conditions équitables : une fois la période de transition accomplie, c’est la liberté des conventions de travail, de bail et d’aliénation qui doit seule dominer; elle pourvoira à toutes les nécessités.

D’autres solutions ont été mises en avant; partis de points tout à fait différens, les hommes qui redoutent l’abolition du servage et ceux qui s’en disent les promoteurs les plus déterminés ont proposé de couper court à tout rapport ultérieur entre le seigneur et le serf émancipé, en attribuant à celui-ci la propriété de la terre et en assurant au propriétaire actuel une indemnité pécuniaire. Les uns font intervenir l’état au moyen d’une vaste mesure d’expropriation, les autres bâtissent une immense institution de crédit foncier, se posant comme intermédiaire entre les seigneurs et les paysans ; mais tous admettent une indemnité représentative de la valeur du sol qui doit se traduire en un effet public portant intérêt et remboursable dans une période déterminée par le jeu de l’amortissement. Ce plan gigantesque pêche singulièrement par la base. On trouve commode de briser sans retour tous les anciens rapports, tandis qu’il s’agit de les délier, de les transformer de manière que la masse de la population trouve des protecteurs et des guides dans ceux qui ont été ses maîtres absolus. La contrainte est toujours mauvaise : ouvrez au cultivateur une libre carrière, facilitez-lui les moyens d’arriver à la propriété, rien de mieux; mais ne le forcez pas à devenir propriétaire, s’il trouve plus d’avantage à d’autres combinaisons. Tant que les ressources du paysan sont nulles ou extrêmement restreintes, ne l’obligez pas à joindre au prix du bail un surcroît destiné à l’amortissement, car l’avenir lui sourit mieux que le présent et lui