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rien !… Moi, je sais… ou je crois savoir que le baron veut absolument découvrir qui vous êtes, et, quand il l’aura découvert,… qui peut dire ce qui lui passera par la tête ? Il est possible qu’on nous retienne prisonniers jusqu’à nouvel ordre. On vient d’arrêter Stenson, oui, arrêter est le mot. C’était d’abord comme une invitation polie par la bouche de cette canaille de Johan, et puis, comme le vieillard effrayé hésitait, comme je voulais le retenir, d’autres laquais sont entrés et l’eussent emmené de force, s’il eût résisté. Alors j’ai voulu le suivre. Je me disais qu’en ma présence, on n’oserait rien contre lui, que je l’accompagnerais même devant le baron, que j’ameuterais, s’il le fallait, tous ses hôtes contre lui. J’étais même parti en avant ; mais, à la faveur du brouillard, je suis revenu sur mes pas, parce que, d’un autre côté, vous laisser seul,… je n’ai pu m’y décider. Je me suis dit que si le baron voulait arracher quelque révélation à Stenson, il commencerait par l’amadouer, et que nous aurions le temps d’aller à son secours. Donc,… allons-y, Christian ; mais comme il nous faut savoir absolument le mot de l’énigme avant d’agir,… eh bien ! faites le guet, gardez la porte, on n’osera pas l’enfoncer, que diable ! Je suis chez moi ici ; vous aviez raison. On n’a pas le droit de me conduire devant le maître, comme ce pauvre vieux intendant. Quel prétexte pourrait-on prendre ?

— Soyez donc tranquille, monsieur Goefle. Cette grande porte est solide, celle de la chambre à coucher ne l’est pas moins. Je vous réponds de celle de l’escalier dérobé, j’y veille. Lisez, lisez vite. Nous aurons toujours un prétexte, nous autres, pour aller au château : on n’a pas décommandé les marionnettes.

— Oui, oui, certainement, il faut savoir où nous en sommes et qui nous sommes ! s’écria M. Goefle, exalté par l’esprit d’investigation qui est la question d’art dans le métier de l’avocat. J’aurai plus tôt fait que vous, Christian, pour rassembler ces fragmens et déchiffrer ce grimoire : c’est mon état. Cinq minutes de patience, je ne vous demande que cela. Quant à vous, monsieur Nils, silence, parlez bas avec les marionnettes.

Et M. Goefle, avec une promptitude remarquable, se mit à rajuster les déchirures, à ranger les lettres par ordre de date, lisant à mesure, et complétant le sens avec un véritable coup d’œil d’aigle, explorant chaque sillon, chaque détour de ce mystérieux dossier, tantôt questionnant Christian, tantôt s’interrogeant lui-même comme pour se rappeler certains faits.

« … Le jeune homme est fort heureux dans la maison Goffredi ; … on l’aime beaucoup… » J’espère que c’est bien de vous qu’il s’agit. Pourtant en de certains endroits il est dit : « Mon neveu, » et c’est de vous qu’il s’agit encore, « mon neveu est parti pour la cam-