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cation du droit de travailler, cette première propriété de l’homme, il fallait ne pas supprimer tous les moyens mis anciennement en pratique pour sauvegarder la position du cultivateur. On suivit un autre système; de là le mécontentement dont les traces n’ont pas encore disparu.

En 1841, le bruit se répandit que les paysans livoniens qui passeraient au culte grec orthodoxe obtiendraient la permission de s’établir dans d’autres provinces de l’empire. On vit alors des cantons entiers s’agiter pour conquérir la liberté du déplacement au prix de l’abjuration. Des troubles sérieux éclatèrent; ils furent réprimés avec une sévérité excessive. L’année suivante, le landtag livonien entreprit de modifier le statut de 1819. Il remit en vigueur les anciens livrets de ferme, comme maximum des prestations auxquelles les fermiers pouvaient être assujettis, et restitua à la classe agricole le droit d’exploitation exclusive du Bauerland (terre des paysans); mais ces mesures, empreintes de l’esprit féodal de la législation allemande, soulevèrent une vive opposition. De nombreux débats s’engagèrent : il en sortit en 1840 un nouveau code agraire, qui maintint la division du sol en terre seigneuriale (Hofesland) et terre des paysans (Bauerland), en réservant l’exploitation de celle-ci à la classe agricole. On essaya de provoquer la conversion des corvées en redevances pécuniaires, et pour faciliter au paysan l’accès de la propriété, on établit une banque destinée à émettre des lettres de gage pour une fraction de la valeur de l’immeuble acquis. Au moyen de ces titres de crédit, le fermier acquéreur peut désintéresser en partie le vendeur.

Un nouveau code rural fut aussi donné à l’Esthonie en 1856 sur des bases analogues à celles que le statut livonien avait admises en 1849, sauf la fondation des banques. Malgré les incontestables améliorations qu’il consacre, les paysans, surchargés par des contrats à l’égard desquels ils n’ont usé, la plupart du temps, que d’une liberté nominale, continuent de s’agiter; ce sont des difficultés d’un ordre nouveau, indépendantes de la mesure même de l’abolition du servage. Cette réforme, et c’est là le fait capital, s’est accomplie dans les trois provinces avec la plus grande facilité. Par son concours intelligent et actif, la noblesse, surtout celle de la Courlande, eut le mérite de contribuer à cet heureux résultat. Les propriétaires russes doivent voir dans ce précédent un encouragement utile et un gage de succès pour l’avenir. C’est le cas, plus que jamais, de pratiquer la vieille devise : noblesse oblige. Il faut que les intérêts privés et les volontés individuelles sachent se plier aux exigences supérieures de l’intérêt général; ils ne tarderont pas à reconnaître que les inspirations les plus équitables et les plus élevées ouvrent la voie la plus sûre à la grande révolution pacifique qui se prépare. Il faut