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tout en Livonie. Néanmoins la réforme s’est accomplie sans susciter les troubles et les dangers dont les adversaires de l’émancipation menaçaient le pays. Tout récemment des désordres ont éclaté en Esthonie, ils ne tenaient nullement, comme on l’a faussement supposé, aux mesures d’affranchissement mises à l’ordre du jour par l’empereur Alexandre II, puisque ces mesures ne concernent en aucune façon une province où le servage est aboli depuis quarante ans. Les causes de cette insurrection partielle sont ailleurs : elles tiennent à la misère du paysan, qui a rencontré chez la plupart des propriétaires des exigences sévères, et qui n’a pas été libre de chercher dans d’autres contrées de meilleures conditions de travail. Le propriétaire noble des provinces baltiques appartient à une autre race que le cultivateur; il continue trop souvent à le traiter comme un conquérant traite l’habitant d’un pays conquis. On doit induire de ce fait que la situation des paysans de l’Esthonie et de la Livonie était, avant la promulgation des statuts libérateurs, encore plus malheureuse que celle des serfs du reste de la Russie, et les difficultés de l’émancipation plus grandes qu’en aucune autre partie de l’empire. Cependant la réforme a été consommée sans secousse et sans violence : la séparation juridique entre la population agricole et le sol s’est opérée, sinon avec tout le bénéfice qu’on en espérait, du moins sans aucun des périls dont on menaçait le pays. Il est même une des trois provinces baltiques, la Courlande, où le besoin commun d’asseoir et de maintenir sur des bases équitables et modérées les relations, désormais libres, entre le propriétaire et le cultivateur a été généralement compris. Aussi tout le monde s’y est-il bien trouvé de la suppression du servage, seigneurs et paysans, quoique le caractère féodal de la législation et l’obstacle mis au libre passage du cultivateur dans d’autres provinces n’aient point permis de donner à cet essai l’étendue nécessaire pour en assurer la complète réussite. L’état de l’agriculture est prospère, la condition des cultivateurs bonne, surtout celle des fermiers, qui possèdent même une aisance remarquable. Les ouvriers profitent d’une hausse constante des salaires. Presque partout, en vertu de conventions libres, la corvée a disparu pour faire place au fermage proprement dit, à la rente foncière payée en argent.

On est heureux de constater, par l’exemple récent de la Courlande, les bienfaisans effets de la suppression du servage; c’est là un précédent décisif pour la Russie : elle peut faire plus et mieux que ce qui a été accompli dans les provinces baltiques sans courir aucun danger sérieux. Il ne faut pas se méprendre sur la portée des plaintes nombreuses qui se sont fait entendre au sujet de la condition des paysans, actuellement libres, de la Livonie et de l’Esthonie : cette condition est triste en réalité; mais ce n’est pas la liberté qu’on peut